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LE LIVRE ET LE DOCUMENT
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idée ou une pennée, avec un vocabulaire de gestes illimité. « Chaque geste des interprètes trouve, en se prolongeant dans notre esprit, une signification et une résonance propre à chacun des spectateurs et cela selon ses réflexes personnels. La danse pratiquée de cette manière est plus logique et plus claire, elle exprime par le geste, ce que l’on ne dit pas et ce que l’on ressent. C’est une langue. C’est un poème, c’est une musique oculaire. »[1] Les ballets russes, et après eux d’autres spectacles, ont réalisé de véritables petits chefs-d’œuvre d’harmonie à argument, musique, chorégraphie, décors, costumes.

c) Costumes et uniformes. — La vie sociale a longtemps eu recours aux costumes et aux uniformes pour exprimer ses hiérarchies et son histoire. Avec le militarisme, l’uniforme a pris une grande importance. Les récents mouvements politiques lui ont fait une place presque fondamentale. (Chemises noires de Mussolini, chemises brunes d’Hitler.)

Une organisation active, a dit Einstein, est nécessaire pour dramatiser la paix. Et l’Internationale verte s’est présentée « comme un nouvel ordre de vie dans un monde nouveau ». S’adressant à la vie, cet ordre est réalisé par de» symboles, des couleurs, des drapeaux, et aussi des gestes, des machines et des parades extérieures. La nouvelle « Union internationale pour la paix », créée par la Jeunesse, veut aussi revêtir ses membres de brassards et d’uniformes.

d) Voyage. — Il est également un spectacle, une documentation instructive qui passe sous les yeux. Voyager ou pénétrer soi-même dans certains milieux, c’est recevoir les sensations directes des choses et vivre au milieu d’elles, agir en fonction d’elles.

Aller voir de visu ce dont on a lu les descriptions ou compléter un plan de lectures par un plan de voyage ; les une» devant précéder, les autres suivre. Avoir visité le monde.

e) Les Institutions. — Au delà des œuvres d’art, il y a pour les peuples leurs institutions, faites de leurs lois fondamentales. Elles sont comme une « objectivation » d’eux-mêmes et chez certains un grand passé s’y déploie bien plus qu’en des documents et des œuvres d’art. Sur le plan de l’Histoire, on parle toujours d’Athènes et de Rome et non de Paris, Berlin ou Londres, parce qu’elles n’ont ni l’Acropole ni le Forum. Le folklore, qui est devenu une science et est entré dans la sociologie, est proche des institutions.

243.7 Les œuvres d’art. L’art.
243.71 Généralités.

1. — Notions.

a) L’art est l’homme ajouté à la nature : Homo additus Naturæ (Bacon), (Définition qui pourrait d’ailleurs s’appliquer tout aussi bien à la science qu’à l’art.)

L’art a pour but de manifester quelque caractère essentiel ou saillant, partant quelque idée importante, plus clairement et plus complètement que ne le font les objets réels. L’œuvre d’art tend à se nourrir de toute la science, de toute la vie personnelle et sonnante de son époque. Il résume la vie, car c’est l’époque qui crée son style et son visage. (Taine.)

L’art, c’est la plus sublime mission de l’homme, puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre. (Rodin)

L’art est la métaphysique émue. (Définition de la revue Rythme et Synthèse.)

L’art, machine à émouvoir. — L’œuvre de science s’attache à reproduire la réalité, l’œuvre d’art est une transformation de la réalité, déformation, humanisation, création.[2]

b) L’art a tenté la transmission et l’assimilation des manières de sentir entre les hommes. Il a passé sur toutes leurs sensibilités, mis en vibration son archet magique, les disciplinant, les accordant par l’imposition douce des sensations plus exquises de l’artiste qui se répandent contagieusement dans son public. L’art a socialisé les sensibilités comme la religion ou la science, les intelligences, comme la politique ou la morale, les volontés. (G. Tarde)

c) Le raisonnement, l’esprit, la partie claire en nous n’est qu’une partie de nous. Il y a tout le domaine des idées confuses, des sentiments, des sensations, des tendances. L’art et la science sont des modes d’expression de ces deux parties de nous-mêmes. La science (connaissance exacte, raisonnée) agrandit tous les jours son domaine, sciences et techniques nouvelles, programmes d’action consciente. La science envahit le domaine de l’art. Le livre scientifique exproprie le livre d’art et de littérature. Mais tandis que les frontières de l’art (l’expression de la personnalité de l’homme) reculent ainsi d’un côté, de l’autre elles s’étendent. Au grand art, la peinture, sculpture, musique, sont venus s’ajouter les arts industriels qui fournissent à l’homme de nouvelles occasions d’exprimer sa personnalité : l’art dans tout ce qui nous entoure, chez nous, dans la cité, à l’atelier, dans l’édifice public. Puis la compréhension de l’art dans la nature. Enfin voici que les plus hauts penseurs conçoivent la vie elle-même de chacun, comme une œuvre d’art, et instaurent le bon goût en règle suprême de la conduite.

d) On l’a dit. L’homme moderne sait qu’il n’est de réalités profondes que celles qui nous affectent directe-

  1. Will Arco. — Sur les ballets de Kurt Jooss d’Essen, Le Rouge et le Noir, 1933.01.25.
  2. Seailles, Essai sur le génie de l’art. — Guyau, L’art au point de vue sociologique. — Perez Bernard, L’art de la poésie chez l’enfant. — Souriau, L’esthétique du mouvement, La suggestion dans l’art. — Ricardon, De l’idéal. — Hirth, Physiologie de l’art.