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OPÉRATIONS, FONCTIONS. ACTIVITÉS

b) Le travail intellectuel, comme tout travail, doit passer de la phase spontanée à la phase réfléchie et, sans rien perdre de la force et de l’originalité que lui donne la spontanéité même jaillie des sources de la vie, il faut lui donner l’autre force que donne l’expérience commune généralisée par la science, la rationalisation. Il y a donc méthodes et procédés à mettre en œuvre par soi ou en coopération avec d’autres ; organisation à apporter chez soi et dans le domaine de l’action commune.

c) La production intellectuelle est due aux facteurs individuels et aux facteurs sociaux. Ces derniers sont fort nombreux. Parmi eux sont dominants tels ou tels dans le cas de chaque auteur, de chaque œuvre de chaque auteur. Gaston Rageot a posé cette question : « Quelle est dans la mentalité des écrivains modernes et dans le succès de leurs œuvres la part exacte du public ? Quelles sont les lois du succès ? » (Le succès. Auteurs et public. Essai de critique sociologique. Paris, F. Alcan, 1906). L’auteur conclut que la manière d’être du public a supprimé des personnalités vraiment éminentes ; on constate le caractère de plus en plus industriel de la littérature, la nécessité grandissante de l’actualité et par suite l’impuissance de l’écrivain à réfléchir et à méditer.

d) Il y a intérêt à décéler la nature et les facteurs déterminants de la création intellectuelle en observant les œuvres ; à pénétrer ainsi les mobiles profonds de l’activité humaine.

251.12 Conseils pour le travail intellectuel.

a) Avoir un sujet principal d’étude ou de travail et y penser avec persistance, y ramener toute réflexion, observation, démarche, lecture. Mais simultanément suivre l’ensemble de ses études et les faits du jour. Tenir aussi toute sa documentation à jour par quelques instants consacrés à elle quotidiennement.

b) Avoir une méthode. Le désordre, le manque d’organisation ne sont pas la marque d’un esprit supérieur, il s’en faut. Si grandes soient l’intelligence, la facilité de travail, les qualités ou le caractère, sans la méthode dans le travail, elles demeurent terres en friche. De moins bien doués, mais plus avisés et plus disciplinés, pourront l’emporter.

c) « Savoir travailler c’est avoir connaissance de tous les procédés qui peuvent faciliter la tâche à accomplir, la rendre plus profitable. Les buts généraux d’une vie intellectuelle personnelle, indépendante, sont : vouloir, savoir, pouvoir. Le facteur du vouloir, c’est la création d’une personnalité capable de profiter des études poursuivies ; le facteur du savoir, c’est la mémoire ; le facteur du pouvoir, c’est la documentation. » (Chavigny)

d) Se livrer de bon matin au travail créateur. On profite mieux de cette maturation si curieuse qui se fait d’elle-même au cours du sommeil.

e) Bien diviser son temps et sérier son travail.

f) Éviter la fatigue cérébrale. Conserver la fraîcheur d’esprit. Mais la fatigue provient moins du travail lui-même que des tracas, des préoccupations, des rivalités, des ambitions non satisfaites, des conditions matérielles, du bruit, de l’interruption et du morcellement, de la presse et de la bousculade dans lesquelles le travail s’effectue.

g) Se reposer d’un travail par un autre travail d’une nature différente. Avoir son plan général personnel de vie intellectuelle. Repasser de temps en temps ses propres notes, ses écrits pour les confronter avec ses idées du moment. Placer son activité particulière dans la perspective des objectifs généraux qu’on s’est proposé, de son plan général.

h) Avoir un siège principal de travail, son « atelier » où sont réunis les matériaux, la documentation et aussi l’outillage, le mobilier et les accessoires familiers. On doit pouvoir travailler en tous lieux comme en tous temps. Avoir toujours sur soi le carnet à fiches disponibles. Mais ces lieux de travail, fixes et ambulants (en auto, en chemin de fer, en bateau) ne sont que provisoires, transitoires ou succursales. Il faut un centre, que ce soit chez soi, au bureau ou à l’Institut.

i) Établir un équilibre entre le physique et le mental. De l’exercice, éventuellement du sport ; marcher au lieu de se faire transporter au siège de ses occupations ; travailler en plein air. Faire alterner un travail de physique avec un travail intellectuel. C’était la règle des anciens ordres religieux. Ce serait la loi dans la Cité Collectiviste : un travail physique utile est préférable à de vains exercices gymnastiques.

j) Savoir prendre congé et des vacances, « dételer », la division rationnelle de la journée de travail, de la semaine, du temps des vacances fait maintenant l’objet d’un examen sérieux.

k) Les intellectuels américains ont introduit l’année sabbatique : un renouvellement de l’esprit tous les sept ans.

l) N’ignorer ni ne négliger les questions d’hygiène mentale. Les fragiles mentaux, les prédisposés aux maladies mentales ont à s’abstenir de certaines études dangereuses pour l’équilibre de leur esprit. Éviter les curiosités malsaines et au-dessus des forces dont on dispose. Éviter ce qui peut conduire à l’alcool, aux drogues, à la toxicomanie.

m) Travailler avec calme et sans nervosité, en avançant sons se presser, en se concentrant sans s’absorber. Avoir toujours place clair, nette, grande devant soi sur la table de travail, c’est un moyen. Pour y arriver, mettre de suite tout papier à sa place sinon définitive, au moins transitoire, et faire qu’elle soit telle qu’en même temps rien ne serait oublié par cette mise hors la vue.

n) Il est des conditions extrêmement favorables à la pro-