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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

duction des écrivains. L’activité intellectuelle du savant réclame d’impérieuses et constantes façons, le calme, la paix avec vie déblayée de contingences et de secousses.

o) Écrire à des moments réguliers est une méthode. Écrire quand on se sent prêt à le faire en est une autre. Une troisième est de se placer résolutivement devant le papier blanc, ayant en vue son sujet et de commencer à le développer, à le reprendre, à le reclasser, et cela sans découragement.[1]

251.2 Les auteurs et l’œuvre.
251.21 Notions.

Tous les producteurs, tous les intellectuels ont en commun un grand nombre de traits et l’élaboration des œuvres requiert des conditions largement identiques dans un grand nombre de rapports. Il n’est cependant question ici que des écrivains et de l’élaboration des écrits.

De l’écrivain on demande : la culture intellectuelle, l’examen de soi-même, l’observation permanente de la nature, des êtres et des choses ; les tableaux humains constamment enregistrés, la réflexion, le respect de son œuvre, le recours aux sources, l’effort ininterrompu, la stylisation, le maximum de sa puissance imprimée à sa personnalité.

Par d’infinies gradations on s’élève de l’homme qui simplement note pour lui certains faits à l’écrivain d’occasion, à celui qui se voue en ordre principal à la fonction d’écrire, au génie qui écrit. Tous ont des papiers. Et parmi ceux-ci, dans les dossiers, des manuscrits non édités, non achevés, esquisses, ébauches, fragments, matériaux, éléments d’œuvres en gestation.

251.22 Espèces d’auteurs.

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On distingue les écrivains littéraires, scientifiques, techniques, sociaux, administratifs.

1. L’homme de lettres.

a) L’écrivain « fort en sa partie » est un spécialiste de l’expression littéraire et du style. Jules Blois disait : « Je dis les mots que je veux et quand je veux, au moment calculé par moi. » Un auteur est un architecte de mots. L’auteur est présent dans chaque syllabe, responsable de chaque virgule ; devant son livre, en son livre, il dirige la symphonie de son univers mental en devenir bibliologique, le chœur innombrable des mots et des images.

b) L’auteur est l’élément subjectif de la connaissance. D’un même événement deux auteurs feront deux récits différents. Il y a là une « équation personnelle », expression courante en astronomie et dont le rapport déborde de cette science sur tous les ordres de connaissances.

Paul Marguerite écrit : « J’appartiens désormais à l’univers de frictions observées et vues, à ce singulier dédoublement de l’artiste qui crée avec du réel et de l’imaginaire, opère par une alchimie d’indosables éléments, l’illusion plus ou moins parfaite dans l’âme du lecteur. Je serai à certaines heures le voyant éveillé d’un songe et même, lorsque je vivrai mes plus médiocres actes quotidiens, un travail inconscient ou mi-conscient persistera en moi. »

c) On peut classer par ordre les écrivains. Il en est de premier, troisième et dixième ordre. Ceux qui sont classés pour nous du dixième ordre, ont été parfois pour les contemporains du premier.

d) Notre temps a fait de la littérature un métier. Il a perdu le respect de la chose écrite. Il verse dans la confusion entre les écrivains et les faiseurs de livres. « D’invraisemblables monuments de niaiseries sont quotidiennement présentés aux éditeurs. Et ceux-ci favorisent un débordement de médiocrités au milieu desquelles les véritables valeurs sont noyées. »

2. L’homme de science.

a) Presque tout homme de science a un problème central qui le passionne et à la solution duquel il consacre tous ses travaux particuliers. C’est pour lui qu’il devient érudit ou savant. Pic de la Mirandole essaya de prouver que les différents peuples de la terre sont redevables de toutes leurs vérités religieuses à une révélation primordiale déposée dans les livres de Moïse, et c’est à l’ardeur infatigable avec laquelle il poursuivit ce but qu’il dut ses vastes et solides connaissances dans les langues orientales.

Le désir impatient, la fièvre, la sainte folie de la recherche de la vérité avant tout et par dessus tout. Ceux qui ne possèdent pas dans leur âme ce feu sacré passent à travers le monde de la nature en lui jetant un regard distrait et superficiel ; les savants de race s’arrêtent aux moindres détails et cherchent la raison de toute chose. Ils passent le jour et la nuit à poursuivre l’idée qui les occupe, qui les préoccupe, qui ne leur laisse pas de trêve. C’est le Delenda Cartago des hommes de science. C’est pour eux comme un cauchemar ; aussi ne mesurent-ils pas leurs efforts, leur fatigue, leur immolation parfois.[2]

Ceux qui ont l’âme du chercheur : c’est d’abord pour leur profonde satisfaction personnelle qu’ils s’attelleront des

  1. Sur le processus du travail de l’esprit et les conditions d’élaboration du savoir, s’en référer aux travaux sur la psychologie, la logique, la méthodologie et la philosophie des sciences. Voir notamment :

    Paulhan. Analyses et esprits synthétiques. — Ribot. Essai sur l’imagination créatrice. — Toulouse : Poincaré. Enquête sur la supériorité intellectuelle. — Poincaré. a) La science et l’hypothèse, b) La valeur de la science, c) Science et méthode. — Boutmy. La vérité scientifique.

  2. Jean Boccardi : Les sciences d’observation à travers les âges. Revue Scientifique 1933. p. 226.