Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/258

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
251
251
OPÉRATIONS, FONCTIONS. ACTIVITÉS

années entières à une besogne solitaire qui ne provoquera aucun tracas retentissant, d’autant plus qu’ils œuvrent sans bruit, sans relations, sans participer aux coteries en dehors desquelles il n’y a que très exceptionnellement des succès ; les repas et les réceptions nécessaires pour ne pas cire ignorés, ne sont point leur fait. Ils ne se livrent pas volontiers et on les nommera maniaques parce qu’au lieu de traiter brillamment et superficiellement une question, ils iront d’une manière uniforme aussi loin que possible dans l’acquisition, le renforcement ou la démolition d’une certitude. Ne s’en tenant point aux apparences faciles, ils mettront en œuvre des années de patience pour aboutir à un résultat dont l’importance paraîtra peu proportionnée au travail dépensé, à l’esprit de ceux qui considèrent la science comme un roman brillant, sans avoir jaugé la somme formidable de connaissances minuscules nécessaires à la brusque synthèse quelquefois écrasante et souvent momentanée. (Jean Painlevé)

b) Le savant appartient à deux familles : celle des analystes cloîtrés dans la spécialité, excellents observateurs et critiques très fins, mais redoutant les théories et les observations ; celle des esprits synthétiques à vues larges, grands amateurs de théories, passionnés d’unité, étendant toujours le champ de leurs investigations, tout en réduisant le nombre de principes explicatifs.

« Nécessité de ces hommes de haute culture générale, de grande conscience, dominant les détours et les alentours de chaque science, des hommes qui aient la faculté et l’habileté de filtrer en quelque sorte la production mondiale pour ne laisser passer que ce qu’elle contient d’essentiel et de bon, des hommes qui sachent dégager de leur gangue les faits importants pour les mettre en valeur à leur vraie place et les employer ensuite à l’édification de synthèses accessibles à tous. » (A. Lacroix.)

251.23 L’œuvre.

L’œuvre est dans l’auteur d’abord ; elle en sort par l’accouchement laborieux de la composition, pendant lequel le cordon ombilical continue à la relier à lui ; au troisième stade, l’œuvre vit d’une vie indépendante : l’auteur se détache d’elle comme elle se détache de lui.

L’œuvre est le ou les volumes qui contiennent un travail ou une étude complète de caractère quelconque.

a) L’œuvre anonyme est celle qui ne porte pas la signature, les initiales, l’anagramme. Les œuvres anonymes sont fort nombreuses.

« Anonymus » a été statufié. C’est un moine à la figure presque cachée et dont la statue se dresse à Budapest.

b) Pseudonyme. C’est le nom simulé pris par l’auteur pour cacher sa personnalité. Il est formé souvent de l’anagramme du nom. On a demandé si c’était bien, cette dissimulation, cette hypocrisie, cette duplicité.

c) On a répondu que les pseudonymes et les figures de fantaisie sont pour certains auteurs des possibilités illimitées de leur imagination. Ils se détachent d’eux pour expérimenter ou décrire des types de vie qui transposent leurs propres conflits et définissent intellectuellement les systèmes philosophiques, scientifiques ou religieux. Personnalités mystiques en lesquelles un auteur s’incarne successivement. De Stendhal on a dénombré jusqu’à présent plus de 200 pseudonymes, véritables dédoublements de l’être.

d) L’œuvre posthume est celle qui voit le jour après la mort de l’auteur. L’écrivain, le savant, laissent en mourant des papiers, manuscrits inédits, inachevés, ou de simples matériaux. Pascal laissa des papiers qu’on fit imprimer aussitôt. Newton en laissa contenant d’importantes découvertes.

C’est généralement par des soins pieux que les œuvres posthumes sont alors éditées. Les manuscrits sont rarement achevés ; des notes et matériaux laissés par l’auteur des œuvres sont souvent tirés après un tri et des liaisons rédigées entre les parties.

e) L’œuvre apocryphe est celle qui, sans raison, est attribuée à un auteur déterminé. À beaucoup d’auteurs on a fait de telles attributions ; aussi à des œuvres collectives. (Les Évangiles apocryphes, les Fausses Décrétales, etc.).

f) L’œuvre d’un auteur se compose de ses œuvres particulières et de ses œuvres complètes (réédition de ses œuvres particulières).

g) Il y a les œuvres sur les œuvres. On a consacré des ouvrages à la vie des auteurs (biographie). On s’attache à l’histoire de leur évolution.

D’un créateur il faut connaître les maîtres, les influences de son travail. Il faut savoir s’il y a école : c’est-à-dire un enseignement de directives imposées ou apportées par un maître ou des maîtres reconnus pour tels.[1]

Les auteurs sont en grand nombre des savants. Or, « l’histoire de la science ne saurait être séparée de l’histoire des savants. Il n’est pas indifférent de connaître leurs antécédents, leur caractère, l’évolution de leur carrière, ce que furent les conditions de leur existence, les conditions favorables ou difficiles du milieu où ont été effectués leurs travaux, d’en avoir aussi l’origine, de suivre le développement de leurs conceptions et de la réalisation en fonction de l’ambiance scientifique et sociale de leur temps. Et tout cela aide souvent mieux à juger de la valeur de ce que nous leur devons. »[2]

251.24 Productivité des auteurs.

Combien d’hommes écrivent, combien d’œuvres produit un écrivain ?

  1. Exemple : W. Jäger Aristotels Grundlegung einer Geschichte seiner Entwicklung. Berlin 1923.
  2. Alfred Lacroix. — Figures de savants.