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OPÉRATIONS, FONCTIONS. ACTIVITÉS

Dans l’antiquité et au moyen âge, le barde traditionnel chantait pour son souper. Les auteurs écrivaient par plaisir, pour des buts éducatifs ou dans l’espoir de dons ou de privilèges de la part de patrons littéraires ou d’hommes publics influents.

Quand on constate combien impérieux est le besoin de parler dans certaines circonstances, on peut se rendre compte que ceux qui écrivent obéissent à un besoin analogue. Que de gens aimeraient mieux se faire couper la langue que de taire les mots qui leur brûlent les lèvres ; que d’hommes ont sacrifié leur situation et leur position au besoin de faire un mot d esprit ou de lancer une phrase vindicative.

Malva, l’écrivain prolétaire belge répond : « Bien malin celui qui se connaît assez que pour dire en toute honnêteté, pourquoi il écrit. C’est un besoin qui doit avoir des origines. Ma vie d’ouvrier m’a incité à écrire. Étant sensible de tempérament et mélancolique, je ne puis voir les misères d’autrui sans aspirer à les dire. Aussi dois-je vivre ce que j’écris. Ma mémoire affective me sert beaucoup ; les souvenirs affluent en moi quand je les sollicite. Je n’accorde à l’imagination que le champ indispensable à la tenue du récit. À Malva le mineur, chacun vient raconter des histoires. On lui dit : « Toi qui écrit, eh ! bien, tu devrais leur dire ça. »[1]

« Pourquoi j’écris ? Ce que j’ai dans le cœur, il faut que cela sorte, et c’est pour cela que j’écris, »

(Beethoven.)

« Je n’ai pas écrit pour produire une œuvre d’art, mais pour prendre conscience de mon propre état. »

(Remarque.)

Les écrivains écrivent :

1° Parce qu’ils y sont poussés par une force inévitable.

2° Parce qu’ils espèrent de cet exercice notoriété et gloire.

3° Parce qu’ils espèrent argent et profit.

4° Parce qu’écrire est le moyen de matérialiser le labeur intellectuel de quelque nature soit-il.

5° Parce que l’écrit souvent est lui-même un acte, une forme de l’action, l’accompagnement, préparation ou conclusion de l’action ; l’influence de l’écrit, appréciation politique et prestige social.

6° Parce qu’écrire est un moyen de découvrir des idées, de les vérifier, de réaliser de la clarté dans les idées, de les classer, de les éliminer du champ de la conscience pour laisser celui-ci libre pour la production d’autres idées, pour établir des bases solides d’où la pensée s’élèvera plus haut et plus loin.

7° Pour la gloire de l’esprit humain en soi. (La devise de l’École Polytechnique : Pour la Patrie, les sciences et la gloire.)

8° Parce qu’une force pousse l’écrivain à écrire comme les êtres dans la nature sont poussés à se reproduire. Écrire pour être délivré du faix de la pensée qui doit s’extérioriser.

L’écrivain, le savant, l’artiste, sont ainsi à leur manière des mystiques. Mais tandis que les vrais mystiques entrent en possession de l’objet infini de leurs désirs, ils n’y atteignent jamais et sont d’éternels mécontents ; ils souffrent de toute l’imperfection de leurs œuvres.

2. Causes occasionnelles.

L’œuvre est ou spontanée ou commandée. L’œuvre est occasionnelle, se produisant à l’occasion d’un fait soit extérieur à l’auteur, soit issu de sa propre vie, ou l’œuvre est essentielle, naissant du développement organique de sa pensée. L’œuvre est isolée ou elle fait partie d’un tout, d’une suite que ne marque pas nécessairement le titre. Elle est autonome ou rattachée à un tiers ensemble : collection ou plan.

Beaucoup d’écrivains reçoivent de leur temps beaucoup de suggestion qu’ils renvoient ; « leur influence en beaucoup de cas est celle des agents de transmission qui mettent la puissance contagieuse de leur passion et la puissance séductrice de leur talent au service des idées qu’ils servent et qu’ils n’ont pas créées. Il est malaisé de distinguer leurs actions du mouvement collectif et des autres efforts individuels qui vont dans le même sens. »

(Lanson.)

L’histoire de la musique montre à quel point les œuvres furent déterminées occasionnellement. Ceci est marqué jusque dans leur titre. Dans le passé, la musique absolue, pour elle-même, a très peu existé. Aujourd’hui, les occasions d’écrire sont nombreuses. Ainsi les cours, les conférences, les thèses des étudiants, les rapports divers à présenter.

3. Causes générales.

a) Parmi les causes générales du développement de la production figurent : le développement des sciences ; la diffusion de l’instruction ; le perfectionnement de l’imprimerie ; la création continuelle de bibliothèques, soit comme organismes indépendants, soit comme archives de sociétés ou d’institutions gouvernementales ou privées.

b) Des occasions générales d’écrire ont existé. Ainsi, pendant les trois premiers siècles du christianisme, il y eut un grand empressement vers la foi. Les païens ne dédaignaient point de combattre les arguments du christianisme et trouvèrent l’occasion de composer les plus magnifiques ouvrages. De là les belles apologies de ce temps qui comptent parmi les plus riches trésors de l’antiquité chrétienne. Dans la période de conversion des peuples du Nord, on ne trouve rien de tout cela.

Les temps modernes ont apporté avec les instituts, les administrations, les revues, les journaux, un élément de continuité dans la rédaction. Ce qui était réellement feuille volante et livres lancés dans l’espace autrefois, devient sorte de source permanente de production de données de toute espèce actuellement. Ce sont de grands organismes

  1. Rouge et Noir, 7-12-1932.