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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

c) La distribution du livre se fait : 1° par vente ; 2° par échange ; 3° par don. Il y a lieu de considérer ici : 1° l’édition ; 2° la librairie ; 3° le service des transports et communications.

d) Produire un livre est la chose laborieuse, compliquée, longue que l’on sait. Il est fini et tout commence seulement. Il faut maintenant le faire lire. Les poètes décrits par Boileau arrêtaient les passants pour les prier d’écouter leurs vers. Les auteurs d’aujourd’hui bien souvent ne sont-ils amenés à des procédés analogues.

Diffuser un livre par le monde, a dit Schiller, est une œuvre presque aussi difficile que l’écrire.

Il ne suffit donc pas d’écrire, d’imprimer, d’éditer, il faut encore se préoccuper de ce que deviendront les ouvrages qui voient le jour. Lancés dans le grand tourbillon bibliographique, ils doivent finalement parvenir à qui peut les utiliser. Là est le point ultime du processus. Comme il n’est pas possible d’établir une relation immédiate entre le livre et son lecteur, des relais ont dû forcément être créés. Il en est deux très importants : la librairie et la bibliothèque et chacun d’eux se dédouble, selon qu’il s’agit du livre lui-même ou de son substitut, la notice bibliographique pour la librairie et la notice catalographique pour la bibliothèque. Le problème général se pose en ces termes : entre la multitude des livres d’un côté, la multitude de lecteurs de l’autre, comment faire pour qu’un livre particulier parvienne vite, aisément et sûrement à un lecteur particulier qui le désire ou auquel son auteur le destine. C’est là un problème de distribution du livre et celle-ci doit être organisée à l’aide d’une instrumentation appropriée, qui, au premier chef, doit comprendre la classification.

e) Il serait intéressant ici de posséder des coefficients pour évaluer la vitesse de propagation d’une idée par le Livre.

Quel temps s’écoule-t-il entre le moment où le fait est découvert, l’idée conçue et le moment de la lecture. Il y a une durée nécessaire pour écrire, imprimer, distribuer, faire rendre compte, faire lire. Cette durée est variable d’après les procédés employés à cet effet.

253.1 L’Édition.

1. — Notion.

a) L’éditeur est celui qui fait imprimer et prend le soin de publier les ouvrages des autres. L’éditeur est comparable à l’entrepreneur d’argent d’un édifice. C’est lui qui établit le rapport entre les diverses spécialités qui coopèrent au livre. On donne aussi le nom d’éditeur à l’homme de lettres et au savant qui revoit et prend soin de publier les ouvrages des autres.

b) L’éditeur est le noyau du monde du livre, placé entre l’auteur, l’imprimeur, le libraire et le public. Les éditeurs ont des responsabilités : 1° vis-à-vis de l’auteur qui, en lui, a confié ses espoirs de réussite ; 2° vis-à-vis de la Nation dont il ne doit pas trahir la cause intellectuelle en publiant des produits inférieurs ; 3° vis-à-vis du public, dont il ne doit pas abîmer la santé morale, mais qu’il ne doit au contraire songer qu’à fortifier et à élever. (Henri Jacques). Il faut des capitaux importants, pour mener à bien une affaire d’édition, où l’on traite avec plusieurs industries, pour permettre d’attendre les rentrées provenant de la vente des livres qui s’échelonnent parfois sur de longs délais, pour entretenir, animer la publicité.

« Si le livre est le véhicule de la pensée, la maison d’édition est le chemin, le canal, le fleuve, la voie. Entre l’écrivain et l’éditeur, il doit y avoir alliance, collaboration. » (Pierre Georges.)

2. — Historique.

a) On a beaucoup discuté si les personnes auxquelles les Romains donnaient le nom de libraires achetaient aux auteurs le droit de publier et de vendre leurs ouvrages. Comme le livre était écrit à la main, il n’y avait pas nécessité de constituer de stocks et l’auteur pouvait à tout moment apporter des changements à son œuvre. Les libraires et les éditeurs au moyen âge ne constituaient qu’une même corporation.

La fondation des universités de Bologne, Padoue, Florence, Paris, Oxford et d’ailleurs, du XIIIe au XVe siècle et durant la Renaissance, rendit plus apparente l’importance du livre. Les colonies de scribes et de libraires s’installèrent autour des universités et y établirent de grands « scriptoria »[1]

Après l’invention de l’imprimerie, on voit se dégager la fonction d’éditeur (imprimeurs imprimant leurs propres livres). À la Révolution, la profession d’éditeur fut déclarée libre et sans autre condition qu’une patente. Celle-ci disparut plus tard.

b) Autrefois en Angleterre, il était coutume de publier certains livres sur le principe du partage des profits et pertes parmi un nombre convenu d’éditeurs et de libraires. Cet usage a subsisté jusqu’au milieu du XIXe siècle. C’était extraordinairement des ouvrages pour lesquels les droits d’auteur avaient cessé d’exister. (Ex. dictionnaire de Johnson), Il y avait jusqu’à 200 actionnaires. Cette méthode ouverte à tous créait un monopole dans bien des cas, car tous les intéressés étaient actionnaires et maintenaient les prix hauts. William Pichering se mit seul à attaquer la corporation des éditeurs en publiant de belles éditions à bon marché des classiques anglais (Aldine Poets, Small books On Great Subjects, etc.).

c) L’histoire de l’édition n’est pas entièrement écrite, mais les grandes firmes ont publié l’histoire de leur officine. Des maisons d’édition plongent leurs racines loin dans le passé. En Angleterre, par exemple, la maison

  1. Cf. Delalain. Étude sur la librairie parisienne du XIIIe au XVIe siècle.