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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

les plus hautes autorités scientifiques dans chaque domaine de leur compétence. Le processus des discussions en soutenance de thèses remonte au moyen âge ; il donne une indication de ce qui peut être fait, mais il devrait être amélioré. Y aideraient l’expression de règles scientifiques et de règles bibliologiques, ainsi que la possibilité de connaître l’état exact de la position de la science sur chaque question par le moyen de la documentation bien organisée.

f) La notion de l’expert et de l’expertise se développe. L’expertise devient un acte général. Elle consiste à donner un avis motivé sur l’état actuel des connaissances en les appliquant à un point concret déterminé. En matière juridique, l’affirmation d’un état de législation donné est le « parère ». La notion du parère est à généraliser en tous domaines. L’expertise alors serait un mélange de parère et de critique.

g) Il y a les conclusions des congrès nationaux et internationaux. Ces conclusions sont prises à la suite des procédures régulières qui vont toujours en se précisant ; introduction des questions à l’ordre du jour, enquêtes, rapports des commissions, discussion en forme, votation, ultérieurement codification des résolutions.[1]

h) Il y a des essais de contrôle en certains domaines. Par ex. la question de la révision des manuels d’histoire. Elle a fait l’objet de travaux d’un Comité d’experts de la Société des Nations, congrès international pour l’enseignement de l’histoire (La Haye, 2 juillet 1932). Ils ont eu leur écho au Comité pour le désarmement moral créé par la Conférence internationale pour la limitation et la réduction des armements. On a proposé une procédure pour arriver à la révision. Tout historien ayant à formuler un grief le transmettrait au Comité national du pays auquel appartient l’auteur incriminé. Certains ont été jusqu’à entrevoir des mesures gouvernementales et disciplinaires. On a mis en lumière des difficultés de concilier le respect de la vérité historique avec la courtoisie internationale, avec la liberté de penser et les droits individuels.[2]

i) D’une manière générale, on pourrait se représenter ainsi une organisation générale de la critique scientifique. Tout livre annoncé par la voie de la bibliographie serait critiqué par l’Organisation critique. La critique bien distincte du résumé ou analyse consisterait essentiellement à rapprocher l’ouvrage critiqué des autres ouvrages similaires en montrant ses relations avec eux et ses rapports avec la science considérée dans son ensemble. La confrontation avec le Dossier universel de chaque question constituée par la documentation serait donc le moyen d’opérer facilement et sûrement cette œuvre de critique. L’organisation de la critique consisterait donc en un office mondial ayant ses règles et ses moyens de travail. Il procéderait de lui-même à la critique de certains ouvrages importants et serait à la disposition de tous auteurs pour procéder sur demande à la critique préalable de leur ouvrage, à la manière d’un office de brevets. L’ouvrage critiqué serait disséqué en toutes ses parties et chacune rapprochée de la matière antérieure. L’auteur serait invité à dire lui-même ce qu’il revendique comme nouveau. Il soulignerait ces passages dans l’exemplaire remis à critique. On considérerait que tout le restant ne serait que secondaire, moyen connu de développement et d’argumentation.

j) Il serait désirable que la critique scientifique fasse une place aux critères et aux jugements d’ordre proprement bibliologique : la forme et l’état matériel du livre, sa conformité avec les règles préconisées, ses caractéristiques au point de vue de la psychologie des lecteurs, etc.

256.4 Censure en général.

1. — Notion.

a) La censure est une critique officielle des écrits accompagnée de sanctions matérielles. Il y a la censure civile et militaire et la censure religieuse. (Voir aussi no 259.2 destruction des livres.)

b) Pendant tout le moyen âge en France, la librairie fut soumise à la triple censure du clergé, des universités et des parlements. Lorsqu’on comprit quelle aide puissante l’imprimerie et la librairie pouvaient donner aux idées nouvelles, on prit contre elles les mesures les plus rigoureuses. Ainsi François Ier, nommé le Père des Lettres, ordonna par un édit, d’ailleurs rapporté, la fermeture de toutes les boutiques de libraires, sous peine de mort.

c) La censure gouvernementale peut s’étendre à toutes les espèces de publications, aux communications postales, télégraphiques, téléphoniques et radiophoniques. En février 1933 les journaux et toutes les publications communistes ont été interdites pour quatre semaines dans toute la Prusse, celles de la Social-démocratie pour 14 jours. Les correspondants même de la presse étrangère ont reçu des avertissements.

d) Une forme indirecte de censure est l’interdiction de transport quand les moyens de transport sont aux mains de l’État (postes, chemins de fer), Le domaine de la censure s’étend avec les sphères où la pensée peut pénétrer et agir. Maintenant il y a la censure de la radio et du cinéma.

On a demandé un service de censure, joint au service de douane à la sortie pour protéger la renommée de la

  1. Code des vœux et résolutions des Associations Internationales. Publication de l’Union des Associations Internationales, Bruxelles.
  2. Institut International de Coopération Intellectuelle 1932. — La revision des manuels scolaires contenant des passages nuisibles à la compréhension mutuelle des peuples. 234 p.