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LE LIVRE ET LE DOCUMENT

phénomène mental est analogue à celui du débutant qui sait épeler les syllabes d’une phrase bien avant qu’il ne peut en saisir le sens. Les yeux de l’esprit doivent lire en même temps que les yeux du corps et, certes, ce n’est pas la même chose. Longtemps, la Psychologie dut se borner à des analyses. Aujourd’hui cependant, nous nous approchons du mystère de la pensée qui est synthétique. La pensée qui jaillit d’un jet, la langue elle-même qui n’apparaît plus en ses catégories grammaticales abstraites, mais en son expression totale, toutes ces catégories n’étant que des moyens, le but étant l’essentiel.[1]

Les études psychologiques ont conduit à définir les types mentaux chez l’enfant et chez l’adulte. Ces études transportées dans le domaine du livre, ont acquis une importance capitale. Elles sont fondées sur la relation entre les auteurs, les livres, les lecteurs et déterminent les réactions particulières des uns sur les autres. Une branche spéciale « La Bibliologie psychologique », s’en occupe.

257.6 Recommandations au lecteur.

1° N’entreprendre aucune lecture trop au-dessus de ses forces et de ses connaissances. Cela peut détourner du goût des lectures sérieuses. Ceci ne doit pas détourner de la volonté de prendre un livre de science du degré supérieur et de s’attacher à le lire et à le relire jusqu’à ce qu’on le comprenne ; 2° Tout livre commencé doit être achevé, à moins de répugnance invincible ; 3° Relire le livre auquel on aura trouvé un réel profit, mais dont certaines parties restent obscures. Mais ne pas le relire immédiatement, un intervalle est nécessaire qui permet aux notions acquises de se classer à leur place logique dans la mémoire. Le subconscient doit avoir le temps de faire son œuvre ; 4° Éviter de trop lire. S’il est bon de lire, il est meilleur de vivre. Les livres sont des reflets de la vie quand ils ont de la valeur. Ne pas se contenter du reflet : entrer directement dans la vie. Observer soi-même à l’exemple des observateurs : « Il est nécessaire d’étudier la réalité en même temps que les livres. » (La Rochefoucauld) ; 5° Éviter de mal lire, c’est-à-dire rapidement et superficiellement, de lire trop de journaux et des livres dont la valeur est minime. C’est perdre son temps, affaiblir la mémoire et former une habitude pernicieuse en ce sens qu’on n’arrive plus à lire autrement les écrits qui ont droit à l’attention. La mémoire s’affaiblit parce que les impressions sont floues, fugitives et que le cerveau perd l’habitude de retenir des impressions nettes et durables. En lisant, chercher moins à absorber qu’à assimiler ; 6° A. Vanner (La Clarté Française, p. 70), donne les conseils suivants : Comment faut-il faire une lecture littéraire ? On peut distinguer deux étapes : « a) Dans la première, lisez sans prendre de notes, sans consulter de dictionnaire, bref lisez pour votre plaisir, sans vous voir obligé de déployer tout un appareil qui suffit parfois à dégoûter de la lecture les esprits mal disposés. Vous n’en apprendrez pas moins quantité de mots, d’idées et de faits intéressants, de tours et d’expressions que vous retrouverez instinctivement et qui vous donneront de la facilité. Vous obtiendrez plus sûrement cet avantage et vous serez plus sensible à la beauté du style, si vous lisez de temps en temps à haute voix et si vous apprenez par cœur quelques pages de chacun de nos grands écrivains. Au besoin, notez les ouvrages que vous avez lus, faites-en une très brève analyse et résumez en quelques mots l’impression que vous en gardez. b) Dans la deuxième étape, quand vous chercherez à pénétrer les secrets de bien dire ; vous pourrez relever les passages les plus remarquables de vos lectures pour décomposer les procédés qui correspondent le mieux à vos qualités ou qui s’opposent à vos défauts. Être prudent dans cette méthode et n’avoir rien qui ressemble à des carnets d’expressions, sous peine de perdre toute originalité. »

7° E. Faguet (L’Art de Lire. Paris, Hachette, 1912) fait de son côté les recommandations suivantes : Comment lire. Question capitale. Deux règles fondamentales : « a) lire lentement : L’art de lire c’est l’art de penser avec un peu d’aise. Par conséquent, il a les mêmes règles générales que l’art de penser. Il faut penser lentement. Il faut lire lentement, il faut penser avec circonspection sans donner à errer à sa pensée et en se faisant sans cesse des objections ; il faut lire avec circonspection et en faisant constamment des objections à l’auteur, car lire c’est penser avec un autre, penser la pensée d’un autre, et penser la pensée conforme ou contraire à la sienne, qu’il nous suggère, b) relire : pour mieux comprendre, pour jouir des détails et du style, pour se comparer à soi-même à deux moments différents de sa vie et de son développement. »

8° « L’art de bien lire est des plus importants. Le temps strictement mesuré qu’on accorde à la lecture, accordez-le exclusivement aux œuvres des grands esprits. Chaque école a ses maîtres et ses écoliers, ses chefs-d’œuvre et ses pauvretés. C’est réaliser une grande économie de temps et de travail que de suivre un bon guide qui, vous faisant passer rapidement devant le banal et le médiocre, vous convie seulement à regarder les fleurs rares et à goûter les fruits savoureux. »

(Schopenhauer.)
257.7 Lire en prenant des notes.

On s’assimile les idées, on conserve dans la mémoire les notions, en combinant autant que possible

  1. Voir Delacroix. Le Langage.