Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/335

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
328
259
LE LIVRE ET LE DOCUMENT


plaire (complet et bien conservé). On dira, par ex., dans une appréciation : « Bon exemplaire de la belle édition de cet important et rare ouvrage. » — « Ouvrage complet, sans taches, surcharges ni déchirures. » La rareté est un autre élément de la valeur. Il n’est pas intrinsèque, mais extrinsèque, dépendant de circonstances extérieures à l’ouvrage lui-même. Il y a les éditions numérotées, les ouvrages épuisés et peu communs.

g) La bibliophilie commence avec l’amour des livres pour le contenu et la forme matérielle du livre et finit en bibliomanie qui fait peu attention au fond et s’attache à la forme en l’associant à la rareté purement accidentelle du livre. Pont de Verdun a écrit cet épigramme connu :

C’est elle ! Dieu ! que je suis aise !
Oui, c’est la bonne édition.
Voilà bien, pages neuf et treize,
Les deux fautes d’impression
Qui ne sont pas dans la mauvaise.


h) De plus en plus la bibliophilie est devenue une mode. La spéculation et le snobisme s’en mêlent. Les amateurs de livres vraiment désintéressés deviennent rares. Le problème qui se pose au collectionneur est de savoir quels auteurs seront recherchés et quelle sera l’importance de leur cote marchande. Par des procédés de publicité, on cherche à monnayer en quelque sorte la postérité, en attribuant à tel ou tel livre, dès sa publication, une valeur qu’il n’aurait acquise, suivant La logique des choses, que deux ou trois cents ans après. La bibliophilie devient, au dire des uns. « une spéculation pour malins » ; selon les autres, on peut aujourd’hui employer cette expression « Illettré comme un bibliophile ».[1]

259 Conservation, Altération. Destruction du Livre et du Document.

259.1 Conservation.

a) Les livres et les documents ne sont pas essentiellement des biens corruptibles, périssables ou qui se détruisent par l’usage qu’on en fait. Ce sont des biens à durée continue pour lesquels s’imposent des mesures de conservation leur permettant de traverser les âges. Ces mesures visent à la fois la conservation physique et la sécurité sociale ; elles ont à se concilier avec les mesures propres à en faciliter l’usage. Ces points ont été traités notamment sous le n° 26 Collections et n° 283.1 Hygiène.

b) Distinguant entre l’existence intellectuelle d’un livre et son existence matérielle, on arrive à considérer que le livre est conservé pourvu que quelques exemplaires, un seul tout au moins, ait pu être sauvé de la destruction. On peut alors le reproduire. C’est le cas de la plupart des livres parus depuis un certain temps.

c) Les ennemis du livre qui nécessitent des soins et des mesures de conservation sont : 1° La poussière, Éviter de battre les livres ; les épousseter. L’aspirateur permet de combattre la poussière. 2° L’humidité, elle couvre les livres d’une affreuse lèpre blanche qui marque les pages de taches jaunâtres et donne aux volumes l’odeur de moisi. On combat l’humidité par l’aération. Éviter de placer les livres dans des armoires fermées, les éloigner des murs. Le sulfate de carbone élimine l’humidité. 3° Les insectes. Il en est de diverses espèces. L’humidité chaude engendre toute une famille de petits vers qui creusent des trous dans les pages. Leurs désastres sont grands dans les pays chauds, au Brésil par exemple.

d) Le livre est vivant. Jusqu’ici cette expression avait un sens figuré. Mais les travaux du Dr Galipe, présentés à l’Académie des Sciences (3 nov. 1919, C. B. n° 18. t. 69, p. 814) lui donnent une signification propre. Dans la substance même du papier et du papyrus continuent à vivre certaines bactéries appelées improprement granulations et qui résistent à tous les agente physiques ou chimiques. Leur vitalité est telle qu’ils se conserveraient depuis deux mille ans.

259.2 Destruction, altération, vol et élimination.
259.21 Généralités.

a) Comme tout objet créé par l’homme, le livre dans sa vie est soumis à trois sortes d’actions : 1° celle que lui inspire le travail humain, finalisé et rationalisé ; 2° celle inhérente aux forces naturelles qui ont été incorporées et soumises en lui ; 3° celle des forces extérieures en œuvre dans la nature et dans la société. En tant qu’organisme intellectuel, les livres participent au cycle biologique : naître, se développer, se reproduire, mourir. Dans sa phase de construction, il sera accru et procédera par assimilation d’autres livres, par combinaison de ceux-ci avec sa structure et ses éléments. Durant sa vie, il sera soumis aux accidents fortuits, aux maladies organiques, la mutilation, la dissolution, la destruction et la fin du livre (maladie, accident, amortissement et fin du livre).[2] Dans sa phase de destruction, il sera divisé, combiné, fusionné, éliminé, et il mourra.

b) La durée des œuvres doit s’envisager quant à celle de leurs divers éléments. 1° L’élément matériel : il est en général le plus fragile ; le livre s’use, s’abîme, se détruit. Il y a l’eau et le feu, il y a les chocs et toutes

  1. John T. Winterich : A primer of Book collecting (London 1928). — Bernard Grasset ; La chose littéraire, Paris, Gallimard 1929. — Émile Henriot : Sur la Bibliophilie, « Gazetet de Lausanne », 9 mai 1930.
  2. Dryon, F. — Essai bibliographique sur la destruction volontaire des livres ou bibliolyties. Paris, 1889, in-4o, extr. du Livre.