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LE LIVRE ET LA LITTÉRATURE

3. Histoire de la Littérature. (Littérature comparée).

a) L’histoire littéraire au sens large doit s’attacher à l’histoire des formes littéraires, à celle des formes bibliologiques et documentaires, à celle du contenu des œuvres. Elle comprend d’après les œuvres l’histoire des idées, celle du sentiment et aussi celle de l’action.[1]

b) L’histoire de la littérature. — Demogeot (Histoire de la Littérature française) a défini ainsi cette histoire :

« Ce n’est pas seulement des écrivains, des artistes de langage plus ou moins habiles que nous cherchons dans cette longue revue littéraire ; c’est l’élite des esprits de chaque tempe, les représentants intellectuels de la nation. Toute pensée dont une époque a vécu, toute idée qui a servi de flambeau à une génération se trouvent nécessairement reproduites pour nous sous sa forme privilégiée. Envisagée ainsi l’histoire de la littérature française est donc l’histoire même de l’homme sur une grande échelle, une étude de psychologie sur le genre humain. Nous suivons avec une religieuse émotion la grande biographie de cet individu immortel qui, comme dit Pascal, vit toujours et apprend sans cesse. Chaque époque littéraire est un des moments de sa pensée, chaque œuvre une des vues de son esprit, ou un des battements de son cœur. »

c) La littérature naît, fleurit et meurt. Les œuvres correspondent à la sensibilité, aux goûts, à la compréhension d’une époque, d’un moment, puis elles deviennent périmées, elles passent, elles tombent dans l’oubli. De-ci de-là l’une d’elles survit ou ressuscite, c’est le chef-d œuvre ou l’œuvre qualifiée telle et qui va s’ajouter au trésor des siècles.

d) Les Histoires de la Littérature constituent pour les œuvres littéraires les inventaires choisis, classés et critiques les mieux établis.

« Le critique s’arrête seulement aux œuvres littéraires, c’est-à-dire aux idées, sentiments, expériences, rêves, que l’art a revêtu d’éternité. De plus en plus la littérature circonscrit son domaine à l’étude du cœur humain. »

(Lanson. Histoire de la Littérature française, p. 1411.)

e) Les traités de littérature, même les mieux enrichis de citations traduites plus ou moins fidèlement, ne font connaître les œuvres que bien vaguement. Le seul moyen de les estimer à leur juste valeur consiste à se reporter à leurs textes originaux.

f) Il est presque impossible de comparer les différentes littératures entr’elles au point de vue de leur valeur respective ; car, sans parler des préférences possibles, il est peu de gens à qui plus de deux ou trois littératures soient familières.

g) De nombreux et puissante facteurs agissent pour donner à la littérature le même caractère universel qu’ont revêtu la science et la civilisation elle-même. (La littérature et l’internationalisation.)

4. Littérature orale. Tradition.

a) La tradition est la transmission orale de récits vrais ou faux, faite de bouche en bouche et pendant un long espace de temps. Elle est la mémoire de l’Humanité (Gabriel), le lien du présent avec le passé (Lacordaire), le point de départ de toute spéculation sur l’avenir (Proudhon). Il y a des traditions historiques conservées dans la mémoire par des récits épiques ; des traditions mythiques, produits spontanés de l’imagination interprétant à sa manière la nature et ses phénomènes, des traditions remontant aux origines même de l’humanité, mais obscurcies et altérées. Bien des nations, n’ayant pas le livre, ont été réduites à confier à la mémoire seule leurs lois et leurs poèmes.

b) La littérature parlée fut à l’origine ; elle s’est poursuivie à travers l’antiquité et le moyen âge ; elle se perfectionne encore aujourd’hui. Il y a un siècle les frères Grimm ont recueilli la collection des contes populaires allemands. Les conteurs, véritables artistes oraux, possèdent le don inné du détail et cette saveur précieuse capable d’entraîner l’auditeur.

La littérature orale existe encore aujourd’hui. Par ex. celle des Bantonos du Congo Belge. Les idiomes y sont multiples. Les apologies et les contes de la brousse remontent à de très lointaines origines. Leur langue est pleine d’ordre, et de méthode. Dans leurs contes s’affirment des concordances avec ceux des Égyptiens et d’autres peuples civilisés.[2]

5. La matière littéraire.

a) La matière littéraire comme la matière scientifique (toutes deux alimentant la matière bibliologique) va en se développant et en s’amplifiant.

Toute l’histoire littéraire en démontre la lente élaboration. Elle n’offre que bien rarement l’exemple d’une élaboration spontanée.

b) « Le génie classique a eu ses grandes beautés, mais on peut le critiquer de n’avoir pas châtié les vices et les crimes des dieux et des rois, en leur prêtant une noblesse de langage qui ne correspond guère à la bassesse de leurs sentiments. Le romantisme a opposé le grotesque au sublime, la laideur à la beauté, l’intérêt personnel à l’altruisme et il a donné aux crimes et aux vices humains, une place souvent excessive. Le nouveau genre littéraire devra s’imposer l’auguste mission de fouiller dans les replis les plus profonds de l’âme pour nous révéler toutes les nuances, toutes les délicatesses des qualités et des vertus humaines. Avec une maîtrise qui

  1. Ex. : Histoire du sentiment religieux en France, par l’abbé Brémond.
  2. G. D. Périer. — Musée du Livre : Exposition du livre colonial. Octobre 1931.