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LE LIVRE ET LA LITTÉRATURE

la poésie est dite rhytmique ou métrique. Dans la première, on observe la cadence et le nombre de syllabes, mais non leur quantité, car elles sont toutes réputées égales : telle est la poésie moderne en général et celle aussi des Orientaux. Au contraire, la poésie métrique repose sur la quantité des syllabes, dont les unes sont brèves et les autres longues : ainsi, la poésie grecque, latine, allemande (v. les Histoires de la Littérature et les Traités de Poésie).

La poésie lyrique est le plus élevé de tous les genres en poésie, celui qui exprime le mieux l’enthousiasme et réclame le plus d’inspiration, ainsi nommé parce qu’elle se chantait sur la lyre. Il comprend l’ode et ses diverses formes : dithyrambe, hymne, cantique, cantate, etc. On l’étend aussi à la ballade, la chanson, l’élégie, le sonnet et même aux opéras et aux drames destinés à être chantés. On trouve, dans la Bible, d’admirables modèles de poésie lyrique (psaumes, cantiques de Moïse, etc.). Les lyriques grecs, et en particulier Pindare, ont brillé aussi aux premiers rangs. Parmi les Romains, on trouve Horace et Catulle. La poésie liturgique très riche, renferme des loyaux. Le moyen âge eut les œuvres de ses troubadours.

c) Phases. — On distingue trois phases dans la création poétique : l’univers fournit au poète son innombrable matière et une ébauche de forme que l’esprit élabore et achève ; la seconde phase consiste dans cette transformation et purification spirituelle ; la troisième évolue, du point de vue humain, les objets poétiques ainsi créés. S’en tenir aux fins esthétiques, c’est prendre le poète pour tout l’homme, adorer des idoles et s’exposer à mourir d’inanition dans un musée encombré de chefs-d’œuvre. Poète est maître chez soi : dans l’acte de construire ses poèmes, il est seul juge de ses moyens et de ses fins propres. Mais la maison du poète n’est pas l’univers : ses œuvres font partie intégrante de l’avoir humain, elles sont utiles à la cité et à la civilisation. Le poète se sépare de l’homme pour travailler, mais se subordonne à l’humanité pour la servir.[1]

d) Objet. — La poésie exprime deux choses : 1° des idées ; 2° des sentiments. Et très souvent les deux sont amalgamés.

La poésie a ou peut avoir sa forme, sa couleur, sa musique et en outre elle dispose du verbe sans lequel tout le reste est forcément un peu vague et qui ajoute à toutes les autres qualités la lumière de l’esprit et la splendeur du vrai. (Paul Souday.)

Être poète c’est avoir le don de l’Image, du Rythme, de l’Émotion, de la Musicalité, de l’Évocation. (Ed. Picard.)

Toutes les méditations du poète sont des extases et tous les rêves sont des visions.

e) Le souci métaphysique. — À la poésie, expression de la vie spirituelle des peuples, on a donné comme fin l’expression de l’humain, le souci métaphysique ou le jeu gratuit. On peut se demander si la poésie moderne a une tendance générale ou si au contraire elle manque de direction, si elle est vivante ou morte, comme certains le prétendent ; s’il y a avantage ou non aux échanges réciproques entre poésies de divers peuples, notamment entre la poésie occidentale et la poésie orientale ; s’il y a lieu à la liberté des vers ou au retour à des formes rigoureuses.

Pour certains artistes, l’acte de création littéraire, c’est prendre conscience des choses de l’univers en leur vérité, leur nudité originelle, à renaître avec elles, à les recréer en esprit après Dieu. « Je suis l’Inspecteur de la création, dit Claudel, le Vérificateur de la prose présente, la Solidité de ce monde est la matière de ma béatitude. (Art Poétique.) Dans les œuvres littéraires, la poésie a construit une métaphysique du cœur. Dans la création imaginaire, le récit objectif semble avoir pour fonction de manifester une métaphysique de l’intelligence. L’art dramatique, la tragédie surtout, une métaphysique de la volonté.

La poétique est l’aspiration vers l’infini. (A. Delacour)

f) Le vers. — Aux époques primitives, où l’écriture était ignorée ou peu répandue, on eut recours aux formes synchroniques et régulières de la poésie pour faire entrer plus facilement les préceptes dans l’esprit populaire. (Un Hésiode qui ne parle guère que par aphorismes.)

g) Historique. — On a distingué trois périodes dans l’histoire du vers. 1° Période physique où l’homme traduit d’une façon purement émotive ce qu’il ressent. Dans un état d’émotion, les battements du cœur et la tension des nerfs s’expriment sous une forme rythmique. 2° Période physico-mécano-intellectuelle, au cours de laquelle le rythme se confond avec la technique du vers. Ainsi, ne pouvant adopter ni le système greco-romain (quantitatif, qualitatif), ni le système germanique (accentuel), les Français ont compté les syllabes et le rythme consiste a observer des règles numériques. 3° La période intellectuelle ou psychologique ou révolutionnaire, l’individu suit ses tendances naturelles, ses inclinaisons, ses émotions. Certaines expériences de laboratoire tendent à faire penser que le vers nouveau français est basé sur des accents, voir même sur des quantités.[2]

h) La mise en pages. — Ordinairement la mise en pages des vers est la figure visible du rythme. Dans certaines éditions de poésies françaises, les vers ne sont pas alignés selon le nombre de syllabes, mais selon leur longueur apparente, qui n’a aucune valeur métrique et dépend du hasard des mots et de l’orthographe. (Ex. Édition de Fleurs du mal, 1917. Édition de Verhaeren par la Société littéraire de France.) Les vers libristes ont adopté une troisième méthode qui consiste à mettre tous les vers sans distinction sur la même ligne.

  1. Victor Bindel. — « La mission de Claudel ». Revue catholique des idées et des faits. 1933.05.12.
  2. Thieme, H. P. — Essai sur la civilisation française. 1933.