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LE LIVRE ET LA LITTÉRATURE

Paul Fort, qui écrit des vers réguliers, les imprime d’un seul tenant, sans aller à la ligne, comme de la prose.

i) La forme poétique. — Le poème, par toutes les complications de rythme, de césure, d’allitérations et de rimes qu’il suppose est la forme supérieure de création spirituelle, car « la matière de la pensée, c’est le langage qui est pour elles ce que les machines sont pour le feu qui ne devient utile que lorsqu’il est engagé et emprisonné en elles ». (Rageot.)

j) Prosodie musicale. — Le rythme joue dans le langage un rôle important. Dans certaines langues, lu signification d’un mot se modifie suivant l’emplacement de l’accent. Le langage lui-même peut être considéré comme une musique inorganique, étant fécond en modèles rythmiques et contenant dans ses inflexions une mélodie latente. Dans la poésie, les modèles rythmiques du langage s’organisent en rythmes véritables par l’alternance des syllabes accentuées et non accentuées, ou simplement par leur association en groupes réguliers. Le rythme poétique peut être comparé au rythme musical, mais ses combinaisons sont infiniment moins nombreuses. Il existe deux genres de poésie : 1° la poésie qualitative fondée sur la qualité. C’est celle des langues classiques, grecque et latine, et des langues germaniques. Ces langues étant fortement rythmées et les syllabes fortes ou faibles, ou longues et brèves, par conséquent fort distinctes l’une de l’autre, celles-ci sont disposées d’après des modèles rythmiques réguliers, maintenus d’un bout à l’autre de la pièce. 2° La poésie quantitative, fondée surtout sur la quantité des syllabes. C’est celle de la langue française qui n’est pas rythmée mais accentuée seulement. C’est en vain que des poètes humanistes de la Renaissance avec Baif tentèrent d’y adapter des rythmes antiques. (E. Closson.)

k) Surréalisme. — Le surréalisme a fait la critique de la poésie-raison ; il a montré que la poésie était activité libre de l’esprit et que cette activité ne pouvait être dirigée par la raison qui représente nos acquisitions passées et les fige ; la raison qui exprime les étapes parcourues de la science ne doit pas même servir à marquer celles de l’art ; c’est dans une association libre et non dans une idée définie que doit se marquer le temps d’arrêt où la pensée se pose, ne fixe sur les mots. Une image ? Non, pas nécessairement une image, un rapprochement des choses les plus imprévues possible et qui est pourtant connu tout de suite comme essentiel. « J’ai tendu des guirlandes d’étoile à étoile et |*ai dansé ». dit Rimbaud.[1]

l) La poésie scientifique. — Des poètes ont accepté une mission qui à travers les âges a été en s’amplifiant. Ils n’ont pas séparé la pensée de la forme, mais de leur verbe magnifique ils ont approché de la science attachée aux idées, travaillant à la découverte de l’Univers et de nos destinées. Cette science, ils ont commencé a la connaître de l’extérieur, et puis de plus en plus de l’intérieur. Ils vont à l’interroger sur les inconnues universelles et nous-mêmes, lui demandant des émotions, des enthousiasmes, ou de poignantes appréhensions. La vraie poésie scientifique est atteinte lorsque le poète a pénétré dans la science et ainsi est devenu le centre vibratoire conscient et émis de la connaissance scientifique. Cette poésie léguée de l’Inde à la Grèce, à Lucrèce, entrevue au moyen âge, est représentée plus près de nous par Chenier, Delille, Leconte de Lisle, Richepin, Sully Prudhomme, par Verhaeren, par René Ghil. Tous ils composèrent une œuvre unique, s’emparèrent des hypothèses savantes et se montrèrent dans la zone de la philosophie voisine avec la science et firent sortir directement l’émotion, ajoutant parfois de nouvelles hypothèses en vue de multiplier les rapports vers des nœuds de synthèse pour mieux scruter les ténèbres qui nous entourent.[2]

8. Le Roman.

a) Le roman demeure un genre immense.

On estime que la presse quotidienne publie 50,000 romans par an dont 95 % sont fournis par les « fabriques de romans ».

b) Des romanciers s’efforcent de nous intéresser par la nouveauté ou le savant embrouillement de leurs intrigues. D’autres plus fins nous proposent des études psychologiques ou de mœurs. Il en est qui ont pour but de créer une atmosphère et d’obliger le lecteur à y entrer. Le roman idéal combinerait les trois genres : nourri d’une forte intrigue, il serait aussi un document psychologique ou social et baignerait en outre dans une atmosphère d’une densité, d’un pouvoir de suggestion particulier. (Georges Remy.)

c) Le roman a été jugé avec sévérité.

Production d’un esprit faible, écrivant avec facilité des choses indignes d’être lues par des esprits sérieux. (Voltaire.)

Le roman, genre détestable car il permet de ne pas conclure. La société étant faite d’hommes et de manants, d’ignorants et de savants, décrire ce qui est, c’est parler à la fois des uns et des autres avec une égale sympathie.

d) « Tout futile qu’il soit, un roman a beaucoup plus de chance qu’une œuvre doctrinale de refléter une conception collective. Nul public ne lit un roman qui lui déplaît. On peut dire que le succès d’un roman qui a laissé quelques traces dans l’histoire est astreint à une double condition. D’abord il faut qu’aux yeux d’un large public il ait exprimé la vie d’une époque ; mieux encore que sa vérité, sa ressemblance, c’est-à-dire une sorte de synthèse de la réalité et de l’idéal ; la combinaison com-

  1. André Deléage. — L’Internationale de l’Art. Esprit. 1932. p. 155.
  2. E. A. Fusil. — La poésie scientifique, de 1750 à nos jours (édition Scientia, 87, boul. St-Germain. Paris). Article à ce sujet par René Ghil dans Les Cahiers Idéalistes français, juillet 1918, p. 178.