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PROBLÈMES EN GÉNÉRAL

52 LES PROBLÈMES DE LA DOCUMENTATION.

1. PROBLÈMES PROCHES.

Il y a les problèmes anciens et les problèmes nouveaux. Les problèmes des Bibliothèques et des Collections, celui de la Bibliographie et de la Catalographie, sont théoriquement résolus. Méthodes et organisation ont été arrêtées ; seule l’application est en retard. Les nouveaux problèmes qui retiennent l’attention sont trois : 1° Comment publier des livres et documents répondant aux desiderata d’une documentation optimum. 2° Comment, de livres parus, faire la matière de livres plus généraux, traités et encyclopédies en élargissant la conception de ceux-ci jusqu’à concevoir un livre universel pour chaque science, encyclopédie à tableaux synthétiques et analytiques permanents, réalisée en dossiers-classeurs, et confié pour chaque branche à un organisme spécial dépendant de son association ou congrès international. 3° Comment organiser la lecture ou utilisation systématique et généralisée des livres et documents.

2. PROBLÈME ULTIME. SOLUTIONS HYPOTHÉTIQUES OPTIMA.

Pour mieux apprécier la valeur des solutions proposées, supposons un instant le problème résolu dans les conditions optima. Voici trois hypothèses :

A. Le cas limite serait évidemment celui où il ne serait plus nécessaire d’avoir recours au livre et à la documentation. Ceci adviendrait dans l’hypothèse d’un pur esprit ayant à tout moment la connaissance intuitive et complète de toutes choses, telles qu’elles sont, ont été et seront. C’est l’hypothèse théologique de la Divinité et de tous les esprits qui participent à sa nature omnisciente, omniprésente et éternelle. Pour Dieu, pour les anges et pour les élus, point nécessaire l’écrit et la documentation. (Il est vrai que la Bible, écrite pour les Hommes, révèle qu’il est dans le Ciel un grand livre sur lequel les anges vigilants inscrivent continuellement les mérites et démérites de chacun afin de faciliter l’œuvre du Jugement dernier.) Cette première hypothèse deviendrait peut-être partiellement réalisable par l’Humanité si arrivaient à s’affirmer et à se perfectionner les découvertes de l’ordre dit aujourd’hui « métapsychique ». Un état de clairvoyance et de prémonition généralisé enlèverait toute raison d’être au document.

B. Une hypothèse moins absolue, mais très radicale encore, supposerait que toutes les connaissances, toutes les informations pourraient être rendues assez compactes pour être contenues en un certain nombre d’ouvrages disposés sur la table de Travail même, donc à distance de la main, et indexés de manière à rendre la consultation aisée au maximum. Dans ce cas le Monde décrit dans l’ensemble des Livres serait réellement à portée de chacun. Le Livre Universel formé de tous les Livres, serait devenu très approximativement une annexe du Cerveau, substratum lui-même de la mémoire, mécanisme et instrument extérieur à l’esprit, mais si près de lui et si apte à son usage que ce serait vraiment une sorte d’organe annexe, appendice exodermique. (Ne repoussons pas ici l’image que nous fournit la structure de l’hectoplasme.) Cet organe aurait fonction de rendre notre être « ubique et éternel ».

C. De là une troisième hypothèse, réaliste et concrète celle-là, qui pourrait, avec le temps, devenir fort réalisable. Ici la Table de Travail n’est plus chargée d’aucun livre. À leur place se dresse un écran et à portée un téléphone. Là-bas au loin, dans un édifice immense, sont tous les livres et tous les renseignements, avec tout l’espace que requiert leur enregistrement et leur manutention, avec tout l’appareil de ses catalogues, bibliographies et index, avec toute la redistribution des données sur fiches, feuilles et en dossiers, avec le choix et la combinaison opérés par un personnel permanent bien qualifié. Le lieu d’emmagasinement et de classement devient aussi un lieu de distribution, à distance avec ou sans fil, télévision ou télétaugraphie. De là on fait apparaître sur l’écran la page à lire pour connaître la réponse aux questions posées par téléphone, avec ou sans fil. Un écran serait double, quadruple ou décuple s’il s’agissait de multiplier les textes et les documents à confronter simultanément ; il y aurait un haut parleur si la vue devrait être aidée par une donnée ouïe, si la vision devrait être complétée par une audition. Une telle hypothèse, un Wells certes l’aimerait. Utopie aujourd’hui parce qu’elle n’existe encore nulle part, mais elle pourrait bien devenir la réalité de demain pourvu que se perfectionnent encore nos méthodes et notre instrumentation. Et ce perfectionnement pourrait aller peut-être jusqu’à rendre automatique l’appel des documents sur l’écran (simples numéros de classification, de livres, de pages) ; automatique aussi la projection consécutive, pourvu que toutes les données aient été réduites en leurs éléments analytiques et disposées pour être mises en œuvre par les machines à sélection.

De telles hypothèses, toutes imaginatives qu’elles soient, la Bibliologie — science systématique et raisonnée du livre — doit leur faire une place. Toute science de nos jours n’arrive-t-elle pas à être guidée par quelque hypothèse limite qui apparaît comme une finalité synthétique, protégeant contre la dispersion et l’égarement dans le dédale infini des petits progrès analytiques. Si la chimie est devenue une science formidable, l’hypothèse, gratuite au début, de l’unité de la matière y est bien pour beaucoup de choses. Et les progrès de l’aviation ont été déterminés par l’hypothèse mythologique d’Icare le Volant.