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BIBLIOLOGIE

parfait, compte 50 caractères disposés non pas au hasard comme le nôtre, mais d’une manière méthodique.

4. Dans le système d’écriture grec, les inscriptions sont le plus souvent gravées sur marbre, sur airain, plus rarement sur plomb. L’écriture est ou rétrograde, ou boustrophède, ou stoichedon. (Chaque lettre était placée sous la lettre correspondante à la ligne supérieure : inscriptions attiques du Ve siècle ou en colonnes (kuonèdon) ; c’est le système chinois et proto-assyrien.) Le plus souvent elle est disposée comme dans nos livres, mais la ponctuation est absente ou capricieuse, les signes manquants toujours et les mots ne sont pas séparés. Les fautes d’orthographe et de gravure ne sont pas rares.

5 Les Runes sont les caractères dont se servaient les Scandinaves et les autres Germains. L’alphabet runique comporte 16 lettres et chacune est l’initiale du nom qu’elle porte et reproduit ordinairement la forme de l’objet désigné par ce nom. Ulphilas, évêque Goth du IVe siècle, a complété l’alphabet runique par quelques lettres et composé l’alphabet gothique, dont il s’est servi pour traduire la Bible. L’écriture gothique moderne date du XIIIe siècle : c’est l’ancienne gothique assujettie à des règles fixes et composée de traits réguliers. Il tend à faire place devant l’alphabet latin, bien que la guerre ait ralenti ce mouvement.

6. Les anciens Turcs (Ton-Kione, tribu des Hioung Nou) avaient des contrats sous forme d’entailles sur une planchette qu’ils scellaient en y marquant l’empreinte d’un fer de lance. C’est de leurs planchettes entaillées qu’ils se servent quand ils font la levée de gens de guerre et des chevaux et quand leurs rois font acquitter l’impôt, qui se compose de bétail, ils délivrent l’acquit par l’apposition d’un scel marqué au fer de lance. (Cahun.)

L’alphabet est indépendant de la langue. Les dialectes des groupes turcs n’emploient pas moins de six caractères d’écriture différents (sans compter les transcriptions avec l’alphabet russe), l’arabe, le syriaque transformé par les Oïgours, l’arménien, le grec, l’hébreu et le chinois, auxquels il faut ajouter l’ancienne écriture dite tchoudique ou runiforme, aujourd’hui reconnue pour turque.[1]

L’écriture nestorienne fut apportée jadis jusqu’au Pe-Lou par le monde chrétien. Elle s’imposa au monde turc et mongol et résista même au boudhisme et à l’écriture chinoise. Ce ne fut qu’après 1450 que l’Église musulmane se vit assez forte pour se passer de cet alphabet et imposer l’écriture arabo-persane. Encore le mongol et le mandchou, l’ont-ils fièrement et bravement conservée. L’écriture chinoise a dévoré et englobé les écritures de l’Inde, de l’Indochine, de la Corée et du Japon.

Les anciens peuples du Pérou ne connaissaient pas précisément l’écriture, du moins suivant notre système phonétique. Mais ils possédaient un nombre respectable de procédés symboliques, comparables à ceux des hiéroglyphes, et grâce auxquels ils pouvaient exprimer sur la trame des étoffes une foule de notions. Ils disposaient également de « Quipus », sorte de cordes à nœuds de plusieurs couleurs, auxquelles on attachait de petits objets et qui servaient aux fonctionnaires de l’État à établir leur comptabilité. En un mot, l’écriture était en voie de formation au moment de la conquête espagnole et la langue quichua pouvait se glorifier d’une littérature orale.

L’écriture que Saint Clément appelle Kyriologique ou expressive, mais qui était imitative, offrait la charpente des mots, sauf les voyelles qui étaient facultatives. La méthode kabbalistique n’employait que des initiales, ce qui les rendait des énigmes analogues aux signes.

7. Ultérieurement, on a pu assister à la naissance d’une écriture. Ce fut celle inventée d’une pièce par un iroquois vers 1818. Les Indiens avaient trouvé sur une personne une lettre dont le porteur fit une lecture inexacte. En délibérant sur cet incident, ils agitèrent la question de savoir si les pouvoirs mystérieux de la « feuille parlante » étaient un don que le Grand Esprit avait accordé à l’homme « blanc » ou bien une invention de l’homme blanc lui-même. Presque tous se prononcèrent pour la première opinion. Mais See-Tnah-Joh, dans une solitude forcée qui suivit le débat, se mit à réfléchir. Il apprit par les cris des bêtes féroces, par l’art de l’oiseau moqueur, par les voix de ses enfants et de ses compagnons, que les sons font passer les sensations et les passions d’une âme dans l’autre. Cela lui donna l’idée de se mettre à étudier tous les sons de la langue iroquoise et bientôt de composer un alphabet de 200 caractères pour les représenter.[2]

8. Des inconnues et des incertitudes existent encore au sujet des origines et de l’histoire de l’écriture. Les travaux se poursuivent, et bien des hypothèses continuent à être discutées.

Des études récentes ont porté sur le classement systématique de tous les éléments d’écriture des populations primitives du globe. M. H. Wirth, en les confrontant, a trouvé que tous ces signes se ramènent à un seul système datant de l’époque paléolitique.[3] Il proviendrait de la division de l’année solaire, les signes de l’alphabet désigneraient les points bi-mensuels du lever et du coucher du soleil en commençant par le solstice d’hiver. L’année étant divisée en 10 mois aux époques les plus anciennes et en 12 mois plus tard, on obtient ainsi 20 et plus tard 24 signes.

Si les prétendues découvertes de Glozel avaient été vraies, il eût fallu conclure qu’une écriture évoluée existait dans les Gaules où seraient venues puiser les civilisa-

  1. Léon Cahun. Introduction à l’Histoire de l’Asie, p. 36.
  2. Catholiques des Pays-Bas, 16 juillet 1830.
  3. Hermann Wirth. Der Aufgang der Menscheit Eugen Diederich, Jena.