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ÉLÉMENTS GRAPHIQUES

on ne peut nier que les caractères particuliers d’un individu ne se peignent dans le nombre, la rapidité et l’ampleur de ses mouvements. La parole qui diffère selon l’individu, serait utile aussi à étudier dans un but d’analyse psychologique. Au fond de ses études diverses en apparence, on trouve que le sujet est toujours le même. C’est l’activité musculaire sous ses formes diverses. Le jeu de la physionomie, l’allure des bras et des jambes, la manière de parler, ce sont toujours des muscles en action, des mouvements en partie volontaires et conscients, en partie involontaires et inconscients. Or, il est un appareil moteur qui se trouve en relation encore plus intime que les autres avec la fonction cérébrale idéomotrice, et dont le jeu doit être en conséquence un reflet très fidèle des divers modes de cette activité : c’est celui qui prête à l’action d’écrire.

L’écriture est donc un geste, composée d’une multitude de petits gestes. Elle est le jet matérialisé de la pensée.

5. Les écritures paraissent être réellement toutes différentes. On découvre une infinie variété de particularités graphiques, même dans les bâtons des enfants. On arrive à des milliards en calculant les variétés les plus simples que l’on peut produire dans le chiffre 1, le plus simple de tous les signes. (Crépieux-Jamin. Les lois fondamentales de la graphologie). Les variétés graphiques sont attribuées aux variétés de caractères : il y a une relation entre le mot et son expression motrice.

6. Des méthodes perfectionnées ont été imaginées, notamment par Crépieux-Jamin (L’Écriture et le Caractère), par Persifor Frazer (A B C de la Graphologie), par Bertillon (La Comparaison des écritures) par Locard (Technique graphométrique).

7. Autrefois les experts en écriture étaient des calligraphes, des lithographes, des maîtres d’école qui travaillaient dans des conditions matérielles déplorables, avec des instruments insuffisants. Leur procédé consistait à colliger dans les pièces soumises à l’examen des ressemblances purement matérielles de graphisme. Les vérifications se faisaient sans méthode définie, sans règle catégorique, précise. Aujourd’hui les experts en écriture se servent d’instruments de premier ordre : le microscope et la photographie.

8. Expertise des écritures. Faux en écriture. — Depuis qu’il y a des écrits, il y a des faux. Justinien en parle et nous avons toute une littérature sur cette question au moyen âge et dans les Temps modernes. Des incidents célèbres, affaire Dreyfus, affaire Humbert-Crawford, ont donné une importance dramatique aux théories en présence. Toute une science est née pour dépister et découvrir ces faux. La photographie et la microphotographie y ont aidé. Les retouches ont été décelées par la composition chimique différente des encres, l’actinisme différent donnant des nuances opposées à la photographie.

On a recherché le parallélisme grammatique et établi pour former des diagrammes une analyse graphométrique montrant la variation des valeurs angulaires des lettres authentiques et des lettres falsifiées.[1]

9. Des règles ont été tracées par les maîtres de la Société Technique des Experts en écriture et qui sont aujourd’hui enseignées dans ses cours.

222.14 Instruments, encres et spécialistes de l’écriture.

On a écrit avec toutes espèces d’instruments, on s’est servi de toutes espèces de matières pour tracer les caractères ; il y a eu des spécialistes de l’écriture.

222.141 INSTRUMENTS.

1. L’instrument de l’écriture est la plume et le crayon. La plume est placée dans le porte-plume ; le crayon est placé souvent dans le porte-mine, et il est de toute couleur.

Aux instruments de l’écriture sont apparentés les instruments du dessin : règle, équerre, « té », tire-ligne, curseur, pantographe, etc.

2. Antérieurement on a écrit avec le stylet sur la plaque de cire, avec l’arindo ou calame, avec la plume d’oie.

Il n’y a pas plus d’une trentaine d’années, on écrivait encore en Birmanie avec un stylet de fer appelé « Kangit » sur des feuilles de palmier, sans l’aide d’aucune encre. Les feuilles étaient ensuite roulées et placées dans un tube où elles pouvaient, paraît-il, conserver l’écriture intacte pendant des centaines d’années. Cette méthode est encore employée par certains Birmans, spécialement par les prêtres.

3. Aujourd’hui l’emporte le stylo (le stylographe), porte-plume à réservoir, éventuellement avec plume en or ou en iridium.

Le premier porte-plume réservoir a été conçu et réalisé par un capucin savoyard, le F. Candide de Moglard.

On a critiqué l’usage du stylo. « Pour bien penser, il faut bien écrire ». La démarche même de notre pensée, sa recherche de la vérité, le crible qu’elle doit faire de tous les germes d’erreur que contient le raisonnement, se décalquent en quelque sorte sur le mouvement du style, la poursuite du mot juste et la logique des articulations d’une rigoureuse syntaxe. Or, l’instrument de l’écriture influence l’écriture elle-même. L’usage moderne du stylo ne permet pas à l’esprit la halte légère pendant laquelle on plongeait sa plume dans l’encrier, ce qui donnait le loisir forcé de réfléchir sans agir. L’emploi de la plume d’oie avec sa taille intermittente doublait opportunément la durée de ces repos nécessaires. Aujourd’hui on dicte au parlophone : c’est là sans doute le comble de la

  1. Voir les belles études du Dr Locard, directeur du Laboratoire de police technique de Lyon. L’auteur en a donné un résumé dans la Revue générale des Sciences, 30 juillet 1922.