Page:Otlet - Traité de documentation, 1934.djvu/99

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.
96
224
LE LIVRE ET LE DOCUMENT

n’en sortait pas. En réalité toutes ces parties se retrouvent dans les discours spontanés, les moins étudiés. Mais la rhétorique ancienne consistait précisément à les dissimuler à recouvrir le squelette de muscles et de peau.

Mais voici que depuis l’antiquité la science a fait son œuvre. C’est elle toute entière qui correspond à la partie invention ; et pour une partie c’est la mathématique moderne qui offre la forme d’énonciation la plus avancée. Il n’en demeure pas moins que l’idée de rationaliser le discours comme la langue, comme la pensée, fut une pensée géniale des Grecs et qu’en possession des moyens nouveaux dont nous disposons, nous avons à reprendre cette œuvre en l’élargissant. C’est notamment une des tâches de la Documentologie.

224.2 Le style.

1. Le style est un résultat. — C’est l’homme, a dit Buffon ; c’est aussi l’époque ; c’est la matière traitée. — Impondérable, indéfinissable, parce que tout en tenant dans la réalité, il exprime à sa manière ce lien de toutes les choses, suivant qu’explicitement ou tacitement, en termes déployés ou par ellipse et syncope, l’écrivain tend à faire éprouver l’unité concrète et synthétique du champ traité.

Le style, dit Covturat, c’est l’ordre que l’on met dans l’expression de la pensée. C’est aussi le fait d’exposer les notions avec clarté en les classant, en dépit de l’énorme fourmillement d’idées qui jaillit dans l’esprit de qui écrit. Le style est la forme d’exposé, ou plus exactement, chacune de ses formes a son style.

2. Il y a diverses espèces de style : le style simple, le style tempéré, le style sublime. L’aristocratie de France, berceau de la langue française, s’imagina de hiérarchiser son vocabulaire, comme elle hiérarchisait le peuple de France lui-même. Il y eut des mots nobles, des mots bourgeois, des mots roturiers, d’autres frappés d’interdit, comme le nom de certaines parties du corps humain.

En Chine, il y a sept espèces de style : antique, littéraire, fleuri ou mondain, commun, demi-vulgaire, familier et épistolaire.

3. Chez les moralistes, particulièrement chez les moralistes français, l’observation des choses se condense en une maxime, une réflexion, une pensée. (Pascal, Vauvenargues.)

Parlant de Taine, Bréder et Hasard (Histoire de la Littérature française illustrée. § II, p. 240), s’expriment ainsi : « La solidité de la pensée, la logique lumineuse du développement se réflètent dans son style avec une limpidité absolue ; il n’est pas jusqu’à l’aspect typographique qui ne témoigne dès les premiers regards de cette rigoureuse ordonnance : le petit tiret s’ajoutait aux points et aux virgules pour séparer le théorème initial, puis les différentes parties de la démonstration, puis la conclusion ; toutes les cases tracées dans le domaine d’un chapitre se trouvent remplies également et l’on continue à voir se dessiner ces cases même pleines. »

Anatole France demande le « sarclage » de la page écrite, il veut que l’on arrache le chiendent des que, qui, qu’on, dont, que soient bannis le point, la virgule, le tiret. On écrit, ajoute-t-il, selon son rythme et le format usuel de son papier. Il faut écourter les épithètes, supprimer la « potinière », se garder de l’ampoule, du pathos. « Rien n’est aisé comme de tonner, de détonner et d’étonner. » « Une pièce qui serait applaudie à chaque vers tiendrait le spectateur vissé toute la nuit sur son strapontin. »

Former des phrases organiques ayant un axe autour duquel tourne et s’ordonne la pensée, avec un rythme, un nombre, une harmonie, tout ce qu’un style soutenu suppose de réflexions, des richesses intimes de forte éducation classique, de capacité de synthèse, d’ordre enfin.

Remy.

Chaque auteur a son dictionnaire et sa manière ; il s’affectionne à des mots d’un certain son, d’une certaine couleur, d’une certaine forme et à des tournures de style, à des coupes de phrases où l’on reconnaît sa main.

J. Joubert.

Sujet, verbe, régime direct ou indirect, les inversions, les figures de rhétorique, quelques images, la phrase était linéaire : elle devient volumétrique, elle se monte étroitement sur l’objet tel qu’il est rêvé par l’émotion et de manière qu’il apparaisse dans sa racine et dans sa fleur, dans l’instant et dans la durée. (Delhorbe sur Ramuz.)

Amplifions, disons qu’elle devient dynamique.

Pour bien écrire, il faut trois qualités :

a) la correction (non barbare) éviter barbarisme, solécisme, gallicisme ;

b) la clarté (non obscure) propriétés des termes et simplicité naturelle de la construction ;

c) l’élégance (ni plat, ni vulgaire) : élégance, de eligere, consiste à choisir des mots, des locutions et une construction de phrase qui rendent la pensée avec plus de grâce ou de force.

4. De nos jours les poètes se sont exclus eux-mêmes de la foule en grand nombre. Ils ont voulu raffluer, quintessencier, suggérer et non émouvoir, cérébraliser et faire de leur art une science intellectualiste et non un sacerdoce sensible. D’où sont nés souvent l’obscurcisme, l’hermétisme, l’incohérence. Les poètes sont devenus étrangers à la masse, parlant une langue incompréhensible au service de pensée et bien souvent puérilement vide. Mais en raffinant, ils ont atteint aussi des formes supérieures d’expression de la pensée et il faut savoir gré de leur effort.

5. Le style télégraphique des nouvelles de Presse habitue les esprits à la concision dans la clarté. La Presse de tout pays en cette dernière année s’est vue