Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/100

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car je l’ai vu, tu ne m’en imposais pas. Elle ne peut faire cependant, quoiqu’elle retienne tes pas, que le premier flot ne vienne mouiller ton pied. Tu me reçois dans tes bras ; nous échangeons de voluptueux baisers, baisers, j’en atteste les dieux, dignes qu’on aille les chercher par delà les mers. Tu couvres mes épaules du manteau que tu as détaché des tiennes, et tu sèches ma chevelure que l’eau de la mer a trempée.

Le reste est un mystère que connaissent avec nous la nuit, la tour, et le flambeau qui me guide dans ma route à travers les ondes. Il n’est pas plus possible de compter les joies de cette nuit, que les algues de la mer Hellespontique. Plus était borné le temps accordé à nos secrets ébats, plus nous avons pris soin qu’il ne fût pas perdu. Déjà l’épouse de Tithon allait chasser la nuit devant elle ; déjà s’était levé Lucifer, avant-coureur de l’Aurore. Nous précipitons à l’envi et nous entassons des baisers hâtifs, et nous nous plaignons de la courte durée des nuits. Après ces délais, au triste avertissement de ta nourrice, je quitte la tour, me dirigeant vers le froid rivage. Je m’éloigne en pleurant, et je regagne la mer de la Vierge[1], les regards attachés sur ma maîtresse, aussi longtemps qu’ils peuvent l’apercevoir.

La vérité mérite quelque confiance : si, lorsque je vais vers toi, je suis un nageur, il me semble, quand je reviens, que je suis un naufragé. Si tu m’en crois encore, la route, à mon départ, me paraît facile ; elle oppose à mon retour comme une montagne d’eau stagnante. C’est à regret, qui pourra le croire ? que je revois ma patrie. Oui, c’est à regret que je vis maintenant dans ma ville. Hélas ! pourquoi, puisque nos cœurs nous unissent, les ondes nous séparent-elles ? nous n’avons tous deux qu’une âme, pourquoi n’avons-nous pas qu’une patrie ? Ou que ta Sestos m’adopte ou toi mon Abydos. Ton pays me plaît autant qu’à toi le mien. Pourquoi suis-je en proie à l’agitation, toutes les fois que la mer est agitée ? Pourquoi le vent, cet obstacle si léger, peut-il en devenir un pour moi ?

Déjà les dauphins, à la forme arrondie, n’ignorent plus nos amours, et je crois n’être pas inconnu aux hôtes de la mer. Déjà le sentier que je me creuse dans les ondes accoutumées offre une trace aussi battue que l’ornière foulée par des roues sans nombre. Je me plaignais autrefois de n’avoir pas d’autre chemin à suivre ; et je me plains aujourd’hui que les vents m’enlèvent jusqu’à cette ressource. Le choc furieux des flots blanchit la mer de la fille d’Athamas[2], et les vaisseaux sont à peine en sûreté dans le port où ils séjournent. Cette mer quand elle prit son nom de la Vierge qui y fut engloutie, offrait sans doute un pareil spectacle. La catastrophe

  1. Cette mer est l’Hellespont, qu’on devait appeler aussi mer de la Vierge, comme paraissent le prouver ces vers et le 139 de cette épître. — Phryxus, fuyant, sur le bélier à la toison d’or, les persécutions de Démodice, femme de son oncle, roi d’lolcos, était accompagne d’Hellé sa sœur qui, effrayée du bruit des vagues, tomba dans la mer à l’endroit qui porte son nom. Voyez les vers 139 - 145 de cette épître.
  2. Hellé avait pour père Athamas, fils d’Éole.