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les métamorphoses


mander son nom et le motif de sa présence. Le petit-fils d’Atlas et de Pléioné lui répondit : « Je suis le messager qui porte, à travers les airs, les ordres de mon père ; mon père, c’est Jupiter lui-même. Je ne dissimulerai pas le motif qui m’amène ; seulement, sois fidèle à ta sœur, et consens à voir des neveux dans mes enfants. Hersé m’attend en ce palais ; ah ! je t’en conjure, sois favorable à mon amour. » Aglaure lève sur lui ces mêmes yeux que naguère elle avait osé porter sur le dépôt mystérieux de Minerve ; elle demande pour ce service une somme d’or considérable, et cependant oblige le dieu à sortir du palais. La déesse des combats lance sur Aglaure un regard menaçant ; elle soupire, et ce soupir s’exhale avec tant de force du fond de son âme, qu’il fait tressaillir à la fois sa robuste poitrine et l’égide qui la protège. Elle se souvient qu’Aglaure souleva, d’une main profane, le voile du mystère, le jour où, parjure à ses serments, elle porta les yeux sur le fils du dieu de Lemnos, qui venait de naître sans mère ; elle prévoit qu’Aglaure va gagner la faveur du dieu et de sa sœur, tout en s’enrichissant par l’or que son avarice a demandé.

Aussitôt elle se dirige vers la demeure que l’Envie souille de ses noirs poisons. Elle est cachée au fond d’un antre inaccessible aux rayons du soleil et au souffle des vents, où règne, au milieu d’une sombre tristesse, un froid engourdissant, toujours privé de chaleur, et toujours chargé de brouillards. Arrivée au seuil de cette demeure, la déesse qui sème la terreur dans les combats s’arrête (car il ne lui est pas permis de le franchir) ; elle frappe la porte du bout de sa lance, et la porte s’ouvre à l’instant. Elle aperçoit, au fond de l’antre, le monstre qui dévore la chair des vipères, aliment de ses fureurs. À cette vue elle détourne les yeux ; l’Envie se lève pesamment de terre, laisse des lambeaux de serpents à demi-rongés, et s’avance d’un pas languissant. En voyant la déesse, dont la beauté est encore rehaussée par l’éclat de ses armes, elle soupire, et met sa figure en harmonie avec ses profonds soupirs. La pâleur habite sur son visage, tout son corps est décharné ; jamais son regard ne se fixe, une rouille livide couvre ses dents ; son cœur s’abreuve de fiel, et sa langue distille des poisons ; le sourire s’éloigne de ses lèvres, ou n’y paraît qu’à l’aspect du malheur ; sans cesse agitée par les soucis vigilants, le sommeil fuit ses paupières ; la vue du bonheur des hommes l’irrite et la fait sécher de fureur ; le mal qu’elle fait lui sert aussi de supplice : elle est son propre bourreau. La déesse, surmontant l’horreur qu’elle lui inspire, lui adresse ce peu de mots : « Répands ton venin dans le cœur d’une des filles de Cécrops ; il le faut. Aglaure est son nom. » Elle dit, et soudain, repoussant la terre de sa lance, elle s’élève dans les airs. L’Envie, sui-