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Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/388

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les métamorphoses

yeux, et, déjà désarmé, l’Amour semblait prêt à s’éloigner.

Elle portait ses pas vers les antiques autels d’Hécate(8), fille de Persée : ils s’élevaient au fond d’un bois qui les couvrait d’un épais ombrage. Affermie contre son amour, elle sentait déjà ses feux ralentis s’échapper de son âme, lorsqu’elle voit le fils d’Éson : tout à coup son ardeur amortie se rallume, la rougeur colore ses joues, et son visage s’enflamme. Comme on voit une faible étincelle, enfouie sous la cendre, se ranimer et s’accroître au souffle du vent, et bientôt s’élever en reprenant son ancienne force ; ainsi l’amour de Médée, déjà refroidi, et qui semblait prêt à s’éteindre, se rallume soudain en présence du jeune héros, à l’aspect de tant de charmes. Par hasard, la beauté du fils d’Éson avait en ce jour plus d’éclat que de coutume, et pouvait expliquer l’amour qu’elle faisait naître. Elle le contemple et fixe ses regards sur lui, comme si elle le voyait pour la première fois. Dans son délire, elle ne croit pas voir les traits d’un mortel, et ne détourne pas un instant ses yeux : mais quand l’étranger commençant à parler, et lui prenant la main, implora son appui d’une voix respectueuse, et lui promit la moitié de sa couche, elle lui dit en versant un torrent de larmes : « Je ne m’aveugle pas sur ce que je fais ; ce n’est pas mon ignorance qui m’égare, c’est mon amour. Tu devras ton salut à mes bienfaits : sauvé par moi, songe à remplir tes promesses. » Jason prend à témoin la triple Hécate, divinité tutélaire de cette forêt, et le dieu qui voit tout dans le monde, et qui donna le jour à son futur beau-père(9), et sa fortune et tous les dangers qui l’attendent. On croit à son serment : il reçoit aussitôt des herbes enchantées, il en apprend l’usage, et retourne, plein de joie, auprès de ses compagnons.

Le lendemain, dès que l’aurore a dissipé les étoiles brillantes, les habitants de la contrée s’assemblent au champ sacré de Mars, et prennent place sur les hauteurs qui le dominent. Le roi lui-même paraît assis au milieu de sa cour, vêtu de pourpre, et son sceptre d’ivoire à la main. Tout à coup les taureaux aux pieds d’airain vomissent la flamme de leurs naseaux de fer ; le gazon s’embrase au contact de leur haleine : de même qu’on entend gronder un foyer rempli de flamme, ou comme, au sein d’une fournaise souterraine, se dissout et bouillonne la chaux qu’arrose une onde abondante ; ainsi des tourbillons de feu roulent en mugissant au fond de leur poitrine et dans leur gueule embrasée. Cependant le fils d’Éson marche à leur rencontre : à son approche ils présentent leur tête horrible, menaçante, et leurs cornes armées de fer frappent la terre avec leurs pieds fourchus, et remplissent l’air de poudre, de fumée et de mugissements. La crainte glace les descendants de Minée : Jason affronte le feu de leur brûlante haleine sans ressentir son atteinte, tant les herbes enchantées ont des