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les métamorphoses

la pression d’une tenaille, et je m’efforce d’arracher ma gorge à sa main vigoureuse. Vaincu sous cette forme, il m’en restait une troisième à prendre, celle d’un taureau menaçant ; je la revêts, et je recommence la lutte. Hercule se porte sur mon flanc gauche, jette ses bras autour de mon cou musculeux ; je l’entraîne, et, sans lâcher prise, il me suit ; il saisit enfin mes cornes, les enfonce dans le sein de la terre, et me renverse sur l’arène. Ce n’était point assez : tandis qu’il tient ainsi mes cornes, sa main cruelle en rompt une et l’arrache à mon front désarmé. Consacrée par les Naïades, et remplie de fruits et de fleurs odorantes, cette corne est devenue le symbole de la richesse et de l’abondance(3). »

Il dit : une des nymphes qui le servaient s’avance la robe retroussée, à l’instar de Diane, et les cheveux flottants ; dans cette corne féconde, elle apporte tous les fruits de l’automne, et, pour derniers mets, couvre la table de ces heureux tributs. Le jour paraît, et le soleil frappe de ses premiers rayons la cime des montagnes ; les jeunes guerriers s’éloignent sans attendre que le fleuve ait repris son cours paisible, ni que le courroux de ses ondes soit apaisé : Achéloüs cache dans les flots ses traits agrestes et son front mutilé ; il s’afflige encore d’avoir perdu l’ornement de sa tête ; c’est pourtant la seule blessure qu’il ait reçue ; il peut même, sous le feuillage du saule ou une couronne de roseaux, déguiser l’injure de son front.

II. Mais toi, farouche Nessus, ton amour pour la même beauté te coûta la vie, et tu péris, atteint, dans ta fuite, d’une flèche rapide. Le fils de Jupiter, rentrant avec sa nouvelle épouse dans les murs de sa patrie, était arrivé sur les bords de l’impétueux Évenus, dont les flots grossis par les pluies d’hiver formaient des gouffres tournoyants, et rendaient le passage impossible. Tandis que, sans crainte pour lui-même, il tremble pour son épouse, Nessus, centaure vigoureux, et qui connaît les gués, s’approche de lui. « Alcide, lui dit-il, laisse moi le soin de porter ta compagne sur l’autre rive, et réserve tes forces pour traverser le fleuve à la nage. » Le héros d’Aonie confie à Nessus la vierge de Calydon toute tremblante, pâle d’effroi, et redoutant à la fois le lieu et le Centaure. Aussitôt, chargé de son carquois et de la dépouille du lion, car il avait lancé sur le bord opposé sa massue et son arc flexible : « Puisque j’ai commencé à nager, dit-il, je franchirai le fleuve tout entier. » Et sans hésiter, sans chercher l’endroit où le fleuve a moins de violence, il dédaigne de s’abandonner au courant docile des ondes. Déjà, sur l’autre rive, il relevait son arc, quand il reconnaît la voix de son épouse ; Nessus s’apprêtait à ravir le dépôt commis à sa garde : « Où t’entraîne, lui crie Hercule, une folle confiance dans ton agilité ? Ô barbare ! c’est à toi que je parle,