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Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/43

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nymphe et fille d’un grand fleuve. Maintenant le fils de Priam, alors (ne craignons pas de dire la vérité), alors, tu étais esclave. Nymphe, j’ai daigné m’unir à un esclave. Souvent, au milieu de nos troupeaux, nous nous reposions ensemble à l’ombre d’un arbre, et le gazon mêlé au feuillage naissant nous offrait un lit de verdure. Souvent, étendus sur la mousse ou sur la paille épaisse, une humble cabane nous défendit contre les blancs frimas. Qui te montrait les bois propices à la chasse, et la roche où la bête fauve tenait ses petits cachés ? Ta compagne assidue, j’ai tendu des filets aux mille mailles, et dirigé les limiers rapides sur la cime des montagnes. Les hêtres conservent sur leur écorce le nom d’Œnone que ton fer a tracé. Ces troncs le verront croître en même temps qu’ils grandiront eux-mêmes. Croissez, et que mes titres s’élèvent avec votre tige superbe[1]. Il est, je m’en souviens, un peuplier planté sur la rive du fleuve. Tu y gravas des mots qui rappellent notre amour. Peuplier, vis longtemps, toi qui, planté sur le bord du rivage, portes ces mots sur ton écorce ridée : "Quand Pâris pourra respirer loin d’Œnone, l’eau du Xanthe, changeant son cours, remontera vers sa source." Xanthe, remonte maintenant vers elle. Ondes, retournez sur vous-mêmes, Pâris peut vivre et avoir abandonné Œnone.

Ce jour a marqué la destinée de ta malheureuse amante, et commencé pour elle les funestes orages que soulève un amour inconstant, ce jour où Vénus et Junon, et la déesse à qui sied mieux une armure, Minerve nue, vinrent se soumettre à ton jugement. La crainte, dès que tu me l’eus dit, fit palpiter mon sein, et un froid tremblement parcourut mes membres raidis. Je consultai, dans le trouble violent qui m’agitait, et les femmes âgées et les vieillards les plus avancés dans la vie. Mon malheur me parut certain. Le pin fut abattu, le bois façonné, la flotte bientôt prête, et l’onde azurée reçut les vaisseaux enduits de cire. Tu pleuras en partant. Ne me fais pas le chagrin de le nier. Ce n’est pas de ces premières, mais de tes nouvelles amours que tu as à rougir. Tu pleuras, et tu vis des larmes couler de mes yeux. Nous mêlions nos pleurs, nous souffrions tous deux. La vigne n’est pas attachée aussi étroitement à l’ormeau que tes bras, dans leur étreinte, l’étaient à mon cou. Ah ! combien de fois ai-je surpris le rire sur les lèvres de tes compagnons, lorsque tu te plaignais d’être retenu par le vent ! Il était propice. De combien de baisers tu me couvris en me quittant ! Ta langue eut à peine le courage de dire : "Adieu." Une brise légère enfle la voile pendante au mât dressé, et l’onde blanchit bientôt sous la rame qui l’agite. Je suis des yeux, malheureuse, ta voile qui s’éloigne. Je

  1. Voyez Virgile, Écl. X, 54.