Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/440

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mouillé de ses larmes, car sa langue est desséchée. Elle appelle en rougissant un de ses esclaves, et, d’une voix douce et tremblante : « Fidèle serviteur, dit-elle, porte ces tablettes à mon…… » et ce n’est qu’après un long silence qu’elle ajoute : « frère. » Au moment où elle lui donne les tablettes, elles échappent et tombent de ses mains. Troublée par ce présage, elle les envoie cependant. L’esclave trouve un instant favorable pour aborder Caunus, et lui remet le mystérieux message. Transporté d’une fureur soudaine, le petit-fils du Méandre jette à ses pieds les tablettes, sans achever de les lire, et, retenant à peine son bras levé sur la tête du messager tremblant : « Il en est temps encore, ministre coupable d’un amour incestueux, fuis, s’écrie-t-il ; si ta mort n’entraînait pas avec elle la honte de ma maison, la mort serait déjà le prix de ton zèle. » L’esclave fuit épouvanté, et rapporte à sa maîtresse les paroles cruelles de Caunus. Tu pâlis, Byblis, en apprenant ce refus, et tu ressens dans ta poitrine glacée les atteintes d’un froid mortel. Mais, en reprenant l’usage de ses sens, elle a repris ses fureurs, et sa bouche peut à peine exhaler ces paroles dans les airs : « Je l’ai bien mérité ! Pourquoi, téméraire, mettre au jour la blessure de mon cœur ? Pourquoi tant me hâter de confier à des tablettes un secret qu’il eût fallu taire ? Avant tout, je devais sonder sa pensée par des mots ambigus ; pour voguer avec le secours des vents, j’aurais dû ne leur livrer qu’une partie de ma voile, observer leur souffle, et ne m’aventurer que sur une mer sûre ; maintenant, j’ai déployé toutes mes voiles à des vents inconnus ; aussi, poussée contre des écueils, vais-je m’engloutir dans les abîmes de l’Océan. Le retour même m’est interdit. Mais quoi ! des présages certains ne me défendaient-ils pas de m’abandonner à mon amour ? Échappée de mes mains, quand je les remettais à l’esclave chargé de les porter, mes tablettes ne me disaient-elles pas combien mon espérance était vaine ? Ne devais-je pas changer de jour, ou même de dessein ? Ah ! plutôt changer de jour ! un dieu m’avertissait lui-même, il m’envoyait des présages certains ; mais, hélas, j’étais insensée ! J’aurais dû parler moi-même, et ne pas confier mon secret à la cire ; j’aurais dû, en présence de Caunus, faire éclater mon délire ; il aurait vu mes larmes, il aurait vu le visage d’une amante ; ma bouche en aurait dit plus que n’auraient pu le faire de froides tablettes ; j’aurais pu, malgré lui, jeter mes bras autour de son cou, embrasser ses genoux ; prosternée à ses pieds, lui demander la vie, et, s’il m’avait repoussée, lui faire craindre de me voir expirer à ses jeux ; j’aurais tout mis en usage, et si mes efforts avaient échoué séparément contre sa dureté, peut-être, réunis, auraient-ils pu fléchir son cœur. Peut-être est-ce la faute du messager ? Il n’aura pas su l’aborder à propos, ni choisir l’instant favorable ; il n’aura pas attendu l’heure où son esprit est libre