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les métamorphoses

cette promesse, elle s’éloigne de la chambre : transportée de joie, celle que la Crète vit naître se lève de sa couche, et tendant vers le ciel ses mains lavées dans une eau pure, elle demande d’une voix suppliante l’effet du songe de la nuit. Bientôt ses douleurs augmentent, et de lui-même son flanc se délivre de son fardeau ; Ligdus, sans le savoir, est père d’une fille ; sa mère la confie aux soins d’une nourrice en déguisant son sexe ; on croit à ses paroles et la nourrice est seule confidente du mystère. Le père rend grâces aux dieux, et donne à l’enfant le nom d’Iphis, son aïeul. Ce nom plaît à Téléthuse ; il convient aux deux sexes et ne doit tromper personne ; le mensonge demeure ignoré à l’aide de ce pieux artifice. Élevée sous les habits d’un enfant mâle, qu’on la prit pour un homme ou pour une fille, sa beauté convenait aux deux sexes. Elle avait atteint sa treizième année ; alors, ton père, Iphis, t’a destiné pour épouse Ianthé, aux blonds cheveux, la plus riche en attraits des vierges de Phaestos, et fille de Téleste le Crétois. Égaux en âge, égaux en beauté, ils avaient appris des mêmes maîtres ces premiers éléments qu’on enseigne à l’enfance ; de là naquit l’amour qui pénétra ces deux âmes naïves ; le même trait les a blessées. Mais combien leur espoir diffère ! Ianthé soupire après le jour où l’hymen, allumant son flambeau, doit l’unir à celle qu’elle prend pour un homme. Iphis aime, sans l’espérance du bonheur ; son désespoir irrite encore sa flamme, et vierge elle brûle pour une vierge. Elle peut à peine retenir ses larmes : « Que dois-je attendre, dit-elle, moi que Vénus tourmente d’un amour inconnu jusqu’ici, d’un amour si étrange et si bizarre ? S’ils eussent voulu m’épargner, les dieux devaient me faire périr, ou s’ils ne voulaient pas ma mort, m’inspirer du moins cet amour que la nature se plaît à faire naître dans le cœur des mortels. La génisse ne s’enflamme point pour une génisse, la cavale pour une cavale ; le bélier suit la brebis, le cerf suit la biche ; ainsi s’accouplent les oiseaux ; parmi les êtres animés, on ne voit jamais la femelle brûler pour une autre femelle. Je voudrais ne pas exister ; faut-il donc que la Crète produise tous les monstres ? La fille du Soleil fut éprise d’un taureau, mais il était d’un autre sexe que le sien. Mon amour, si j’ose l’avouer, est encore plus désordonné. Du moins elle put satisfaire au vœu de sa passion ; elle put, à l’aide d’un stratagème et sous la forme d’une génisse, recevoir les caresses d’un taureau, et sa ruse devait servir à lui donner un amant. Mais ici, quand tout le génie du monde viendrait à mon secours, quand même Dédale prendrait de nouveau son essor sur ses ailes enduites de cire, que pourrait-il pour moi ? Avec toutes les ressources de son art, ferait-il un homme d’une vierge ? Ianthé changerait-il son sexe ? Allons, Iphis, raffermis ton courage et rentre en toi-même ;