Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/45

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le plus jeune des Atrides, crie maintenant à l’outrage fait à la foi conjugale, ainsi tu crieras à ton tour. La pudeur une fois bannie, nul art n’en peut réparer la perte. Elle périt et ne revit plus. Cette femme brûle d’amour pour toi. De même elle aima Ménélas, et maintenant, crédule époux, il se voit seul sur sa couche abandonnée. Heureuse est Andromaque, que des nœuds légitimes unissent à un époux fidèle ! Tu devais, à l’exemple de ton frère, devenir le mien. Ah ! ton cœur est plus léger que la feuille qui, privée du pouls de la sève, voltige, desséchée, au gré des vents mobiles, il est plus léger que l’extrémité du frêle épi, brûlé chaque jour par un soleil ardent.

Un jour, il m’en souvient, ta sœur prophétisa ma destinée. Voici l’oracle qu’elle prononça, la chevelure en désordre : "Que fais-tu, Œnone ? Pourquoi semer sur le sable ? Tes bœufs labourent le rivage, et ne te donneront rien à moissonner. Je vois venir de la Grèce une génisse[1] qui vous perdra, toi, ta patrie, ta maison. Que le ciel détourne ce malheur ! Je vois venir de la Grèce une génisse. Tandis que vous le pouvez encore, dieux, engloutissez dans la mer ce fatal vaisseau ! Hélas ! Que de sang phrygien il porte dans ses flancs ! "[2] Elle dit. Ses suivantes l’enlèvent au milieu de ses transports. Mes blonds cheveux se sont dressés d’épouvante. Ah ! Tes prédictions n’ont été pour moi que trop véritables ! Oui, cette génisse est aujourd’hui maîtresse de ce que je possédais.

Qu’importe l’éclat de sa beauté, si elle est adultère ? Elle a, séduite par son hôte, abandonné les dieux de l’hyménée. Thésée, si je ne me trompe de nom, je ne sais quel Thésée enfin,[3] l’avait avant toi enlevée à sa patrie. Jeune et passionné, crois-tu qu’il l’ait rendue vierge encore ? Comment ai-je pu m’instruire aussi bien ? Tu le demandes ? J’aime. Appelle sa fuite un rapt, et voile de ce nom la faute qu’elle a commise[4]. On n’est pas enlevée si souvent, sans que l’on s’y prête soi-même. Œnone cependant reste fidèle à un époux qui la trahit, et l’exemple que tu donnes pouvait l’autoriser à te tromper.

Une troupe lascive de légers satyres (j’errais alors, cachée dans les forêts), me poursuivit d’un pas rapide, ainsi que Faune au front armé de cornes, et hérissé d’une couronne de pins, sur cette chaîne immense de monts que domine l’Ida. Le dieu de la lyre, le dieu qui fonda Troie, m’aima. Il a une dépouille de ma virginité, mais il ne la doit qu’à la violence. De mes mains je lui arrachai les cheveux, et mes doigts ont laissé sur ses joues plus d’une meurtrissure. Pour prix de mon déshonneur, je ne demandai ni des pierres précieuses ni de l’or. Il est honteux de vendre un corps libre pour des présents. Me jugeant digne d’être initiée à ses secrets,

  1. Ce mot désignait assez l’adultère Hélène. Ce n’est qu’à cause de leur impudicité, que Io et Proetides furent changées en vaches.
  2. Voyez Horace, Carm. lib. I. od. 45. et Virgile, Aen., VI, 88.
  3. Ovide n’a pas voulu montrer trop instruite une jeune fille qu’il représente simple et candide.
  4. Voyez Virgile, Aen., IV, 172.