Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/496

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encore me disputer le prix. Quand je l’eus tiré de la mêlée, sa blessure, qui ne lui avait pas laissé la force de rester debout en présence de l’ennemi, ne l’empêcha pas alors de courir. Hector s’élance, les dieux le suivent ; devant lui les braves eux-mêmes reculent comme Ulysse ; couvert de sang, enivré de carnage, la terreur l’environne : seul, j’attends de pied ferme, et, d’une pierre énorme que je lui lance, je l’étends sur la poussière. Seul, quand il vint demander un rival digne de lui, seul je soutins la lutte ; vous n’aviez pas vainement appelé mon nom : et rappelez-vous l’issue du combat ; Ajax n’est pas resté au-dessous d’Hector. Quand Jupiter lançait sur nos vaisseaux les Troyens, le fer et la flamme, où était-il, Ulysse, le beau parleur ? Comme moi, faisait-il un rempart de son corps aux mille vaisseaux, espoir de votre retour ? Pour tant de vaisseaux, je demande ces armes ; et certes tous leur ferez plus d’honneur qu’à moi-même : leur gloire est liée à celle d’Ajax ; elles ont besoin de lui, et il n’a pas besoin d’elles.

« Comparons maintenant les hauts faits du roi d’Ithaque : qu’il nous parle de Rhésus, du lâche Dolon, d’Hélénus, enlevé avec la statue de Pallas : rien à la face du soleil, rien sans le secours de Diomède. Si jamais vous donnez les armes d’Achille à des titres si honteux, faites-en deux parts, et à Diomède la meilleure. Ulysse en a-t-il besoin ? C’est la nuit, et sans armes qu’il agit ; c’est par la ruse qu’il détruit un ennemi sans défense. Ce casque éblouissant ferait découvrir ses pièges et le trahirait dans les ténèbres où il se cache : son front plierait sous le faix ; la forte et lourde lance du héros ne peut convenir à des bras débiles, ni son vaste bouclier, sur lequel l’univers est représenté, à la main d’un poltron et d’un fourbe. Mais, malheureux, ces armes causeraient ta perte, et tu les demandes ! Si l’aveuglement des Grecs te les donnait, loin d’effrayer l’ennemi, elles ne seraient plus pour lui qu’un appât ; et dans une déroute, où tu sais vaincre tout le monde à la course, tu ne pourrais fuir assez vite en traînant cette lourde masse. Va, ton bouclier est encore neuf ; on ne l’a pas vu souvent dans la mêlée ; le mien, criblé de coups, percé à jour, a besoin d’un successeur. Mais à quoi bon tant de paroles ? Voyez-nous faire : jetez au milieu des Troyens les armes du héros ; c’est là qu’il faut aller les prendre ; elles seront à celui qui les rapportera. »

Ajax se tait, et ses dernières paroles sont suivies dans la foule d’une courte agitation. Mais Ulysse va répondre ; il est debout, les yeux modestement baissés vers la terre ; enfin il relève son regard vers les juges ; tout le monde prête l’oreille et attend ; il commence, et la grâce embellit son éloquente parole.