Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/66

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du palais : il faut soustraire mon crime aux yeux d’un père. Ma nourrice attentive cache l’enfant sous le feuillage, sous les rameaux d’un blanc olivier, sous de légères bandelettes. Elle simule un sacrifice, et prononce des mots de prière. Le peuple, mon père lui-même, donnent passage au pieux cortège. Déjà l’on touchait presque au seuil ; un vagissement arrive jusqu’aux oreilles de mon père ; l’enfant s’est trahi et dénoncé lui-même. Éole le saisit et dévoile l’imposture du sacrifice ; le palais retentit de ses clameurs insensées. Comme la mer devient tremblante, quand une brise légère en ride la surface, comme la tige du frêne est agitée par la tiède haleine du Notus, ainsi tu aurais vu frissonner mes membres d’où le sang s’était retiré ; le lit sur lequel reposait mon corps était ébranlé. Il s’élance, et ses cris divulguent mon déshonneur ; à peine si sa main s’arrête devant mon visage. Je ne puis, dans ma stupeur, que répandre des larmes ; ma langue, glacée par l’effroi, était restée muette.

Déjà il avait ordonné qu’on livrât son petit-fils à la rage des chiens et des oiseaux de proie, qu’on l’abandonnât dans un lieu solitaire. L’enfant, dans ce malheur, pousse un vagissement ; il semblait comprendre son sort, et priait son grand-père, dans le langage qu’il pouvait employer. Songe, ô mon frère ! quel fut alors mon désespoir, car tu peux, d’après ton cœur, t’en former une idée, lorsque, sous mes yeux, un ennemi emportait dans le fond des forêts le fruit de mes entrailles, pâture destinée aux loups des montagnes ! Mon père s’était éloigné de ma couche ; ce fut enfin alors que je pus me meurtrir le sein, et imprimer sur mon visage la trace de mes ongles.

Cependant un satellite de mon père vient vers moi d’un air consterné, et prononce ces cruelles paroles : "Éole t’envoie cette épée (il me remet l’épée), et t’ordonne de savoir à quel usage tu mérites qu’elle serve." Je le sais ; je me servirai avec courage de cette arme violente : j’enfouirai dans mon sein le don paternel. Voilà donc, ô mon père les présents de noces que tu me fais ! Voilà la dot dont s’enrichit ta fille, ô mon père ! Hymen, trompé dans ton attente, emporte loin de moi le flambeau nuptial, et fuis, d’un pied épouvanté, une infâme demeure. Noires furies, dirigez contre moi les torches que vous portez ; que leur flamme allume mon bûcher. Que les Parques plus propices rendent, ô mes sœurs ! vos mariages heureux[1] ; toutefois souvenez-vous de mon crime. Mais quel est celui de mon enfant, lui qui respire depuis si peu d’heures ? Par quelle action, lui qui est né à peine, a-t-il blessé son aïeul ? S’il a pu mériter la mort, qu’on dise qu’il l’a méritée. Ah ! il porte, le malheureux, la peine de ma faute.

Mon fils, ô toi la douleur de ta mère, la proie des bêtes féroces ! toi, hélas ! qu’on déchire le jour même de ta naissance, mon fils, gage déplorable d’un amour si peu fortuné, ce jour fut

  1. Apollodore lui donne quatre sœurs : Pisidice, Halcyone, Périmède et Calycé.