Page:Ovide - Œuvres complètes, Nisard, 1850.djvu/91

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la course. Tu traverseras, comme une reine puissante, les cités dardaniennes ; et les peuples croiront voir une divinité nouvelle. Partout où se porteront tes pas, la flamme exhalera le cinnamome, et la victime fera retentir, en tombant, la terre ensanglantée. Mon père et mes frères, mes sœurs et ma mère, toutes les femmes d’Ilion, et Troie tout entière, t’offriront des présents. Je te découvre, hélas ! à peine une faible partie de l’avenir : tu recueilleras plus d’hommages que ne t’en prédit ma lettre.

Ne crains pas, une fois ravie, que de terribles guerres nous poursuivent, et que la vaste Grèce arme contre nous ses forces. De tant de femmes qui se sont vues enlever, laquelle réclama-t-on les armes à la main ? Crois-moi, ce projet t’inspire de vaines alarmes. Les Thraces, sous la conduite de Murée, enlevèrent la fille d’Erechtée ; et les rivages bistoniens[1] restèrent à l’abri de la guerre. Jason de Pagase emmena sur son vaisseau, invention nouvelle, la jeune fille du Phase[2] ; et le sol thessalien ne fut pas en butte aux attaques de Colchos. Thésée, qui t’enleva, avait enlevé aussi la fille de Minos ; Minos cependant n’appela pas les Crétois aux armes. La terreur, dans ces circonstances, est d’ordinaire plus grande que le péril ; et ce qu’on se plaît à craindre, on rougit de l’avoir craint.

Toutefois, suppose, si tu le veux, qu’une guerre formidable s’élève ; j’ai quelque force, et mes traits sont mortels. L’opulence de l’Asie ne le cède pas à celle de vos contrées ; elle est riche en hommes, riche en coursiers. Ménélas, ce fils d’Atrée, n’aura pas plus de valeur que Pâris, et ne peut lui être préféré sous les armes. Presque enfant, j’ai enlevé leurs troupeaux à des ennemis que j’avais immolés, et je dois à ces hauts faits le nom que je porte[3]. Presque enfant, j’ai, dans divers combats[4], vaincu de jeunes hommes, au nombre desquels étaient Ilionée et Déiphobe. Et ne pense pas que je ne sois redoutable que de près : ma flèche atteint le but qui lui est assigné. Peux-tu lui accorder des débuts et des exploits pareils ? Peux-tu attribuer au fils d’Atrée un art égal au mien ? Et quand tu lui donnerais tort, lui donneras-tu Hector pour frère, Hector qui seul tient lieu d’une armée ? Tu ne sais ni ce que je vaux ni ce que peut ma force ; tu ignores à quel époux tu dois être unie.

Ainsi, ou tu ne seras pas réclamée par un tumultueux armement, ou l’armée des Grecs devra céder à la nôtre. Je n’hésiterais pas cependant à porter le poids de la guerre pour une épouse aussi précieuse ; de grandes récompenses sont l’aiguillon des luttes. Et toi, si le monde entier se dispute ta conquête, tu acquerras dans la postérité un nom immortel. Seulement, espère et ne crains pas ; et, quittant ce séjour avec la faveur des dieux, exige en pleine assurance l’accomplissement des mes promesses.


  1. Le Thrace fut appelée Bistonie, d’un certain roi nommé Biston, fils de Mars et de Callirhoé.
  2. Voyez l’épîre VI. — Pagase était une ville de Thessalie, près de laquelle fut construite la flotte des Argonautes, dans un golfe du même nom.
  3. Apollodore, III., 12, rapporte que Pâris, dans sa jeunesse, surpassait en force et en beauté tous ceux de son âge, et qu’il fut appelé Alexandre, du verbe grec alexeô qui signifie secourir, parce qu’il avait prêté à des bergers l’appui de son bras.
  4. Il faut peut-être entendre par l’expression varia certamine le pentathle, qui se composait, comme l’on sait, de cinq jeux : le disque, le javelot, la lutte, la course et le saut.

    certique petitor
    Vulneris, et jussum mentiri nescius ictum. (CLAUDIAN. IV Cons. Honor, v.529.)