Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/164

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ÉLÉGIE PREMIÈRE.

Il est une antique forêt, restée vierge pendant de longues années ; on croit qu’elle est le sanctuaire d’une divinité ; au milieu est une source sacrée, que domine une grotte taillée dans le roc. L’air y retentit du doux murmure des oiseaux. Protégé par l’ombre épaisse de cette retraite, je m’y promenais un jour, cherchant, pour ma muse, quelque tâche nouvelle. Je vis venir à moi l’Elégie, la chevelure parfumée et nouée avec art. L’un de ses pieds, si je ne me trompe, était plus long que l’autre ; son air était décent, sa tunique des plus légères, et sa parure celle d’une amante. Le défaut même de ses pieds lui donnait de la grâce. Je vis, en même temps, s’avancer à grands pas la Tragédie à l’œil farouche ; sur son front menaçant flottaient ses cheveux épars, et son manteau traînait jusqu’à terre. Dans sa main gauche elle portait avec orgueil le sceptre des rois ; le cothurne lydien était la noble chaussure de ses pieds. S’adressant à moi la première : "Quelle sera donc me dit-elle, la fin de tes amours, poète infidèle à mon culte ? Dans les bachiques banquets, on se raconte tes folies ; on les répète dans chaque carrefour ; souvent, lorsque tu passes, on te montre au doigt : "le voilà, dit-on, ce poète que brûle le cruel amour." Tu es, sans t’en douter, la fable de toute la ville, lorsque tu racontes, d’un front éhonté, tes exploits amoureux. Arme-toi du thyrse, il en est temps, et prends un plus noble essor. Assez longtemps tu t’es reposé ; ose entreprendre une tâche plus digne de toi ; le sujet de tes chants fait tort à ton génie.

Célèbre la gloire des héros. C’est à moi, diras-tu, de fournir cette carrière ; ta muse badine a fait assez de chansons pour les belles ; ta première jeunesse s’est passée dans ces jeux frivoles. Sois à moi, maintenant ; que je te doive le nom de tragédie romaine ? Ton génie saura remplir mon attente. "A ces mots, je la vis se hausser sur son cothurne brodé, et secouer trois ou quatre