Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/165

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fois sa tête ombragée d’une épaisse chevelure. L’Élégie, s’il m’en souvient bien, se prit à sourire en me regardant de côté. Ou je me trompe, ou sa main droite tenait une branche de myrrhe. "Orgueilleuse Tragédie, pourquoi, dit-elle, me poursuivre de tes paroles menaçantes ? Ne peux-tu donc ne pas m’être sévère ? Cette fois, pourtant, tu m’as attaquée avec des vers inégaux comme les miens ; tu m’as combattue avec le rythme qui m’appartient. Lorsque je compare mes chants à tes accents sublimes, ton palais superbe écrase mon humble demeure. Je suis légère, et je n’ai souci que de Cupidon, aussi léger que moi. Je ne me crois pas au-dessus de ce qui fait le sujet de mes chants. Sans moi, la mère du voluptueux Amour n’aurait point de charmes : compagne de cette déesse, j’en suis souvent la confidente. La porte que ne forcerait point ton fier cothurne, s’ouvre d’elle-même à ma voix caressante ; et cependant si mon pouvoir est supérieur au tien, c’est que j’endure patiemment bien des choses que tu ne pourrais souffrir sans froncer le sourcil. C’est de moi que Corinne apprit à tromper son gardien ; à forcer la serrure d’une porte bien fermée ; à s’échapper de son lit, couverte d’une tunique retroussée, et à s’avancer, d’un pas sourd, dans les ténèbres de la nuit. Que de fois me suis-je vue suspendue à une porte insensible, me souciant peu d’être vue par les passants ! Ce n’est pas tout : je me souviens que la servante de Corinne me tint cachée dans son sein jusqu’à ce que le gardien sévère de sa maîtresse se fût éloigné. Que dis-je ? ne fus-je pas le don qui fêta l’anniversaire de sa naissance ? et sa main cruelle ne jeta-t-elle pas dans l’eau mes lambeaux épars ? C’est moi qui, la première, ai fait germer en toi l’heureux talent des vers. Ce qu’attend de toi ma rivale, c’est de moi que tu l’as reçu. Elles avaient cessé de parler : "C’est par vous-mêmes, leur dis-je, que je vous en conjure ; daignez prêter l’oreille à ma voix suppliante ; l’une m’offre le sceptre et le noble cothurne ; et déjà de sublimes accents sortent de ma bouche à peine entrouverte ; l’autre donne à mes amours un renom qui ne mourra point. Sois-moi donc propice ; laisse-moi au grand vers marier un plus court ; noble Tragédie, accorde au poète quelque délai ; les œuvres exigent de longues veilles, et celles de ta rivale à peine quelques instants."

Elle ne fut point sourde à ma prière ; que les tendres amants se hâtent de mettre à profit ce délai ; j’ai derrière moi une œuvre plus grande qui me réclame.


ÉLÉGIE II.

Si je m’assieds ici, ce n’est point que je m’intéresse à des coursiers déjà célèbres ; et cependant mes vœux n’en sont pas moins pour celui que tu favorises. Je suis venu pour te parler,