Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/247

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poète et médecin à la fois, je réclame ton secours ; n'es-tu pas le dieu tutélaire de ces deux arts ? Quand vos chaînes ne sont pas encore bien pesantes, si vous vous repentez d'aimer, arrêtez-vous dès les premiers pas ; étouffez dans son germe ce mal naissant, et que, dès l'entrée de la carrière, votre coursier rétif refuse d'aller plus avant. Tout s'accroît par le temps ; le temps mûrit les raisins ; il change l’herbe tendre en fertiles épis. Cet arbre, dont les rameaux répandent sur les promeneurs un vaste ombrage, ne fut, lorsqu'on le planta, qu'un chétif rejeton. Alors on pouvait facilement l'arracher ; maintenant qu'il est dans toute sa force, il repose, inébranlable, sur ses puissantes racines. Hâtez-vous d'interroger votre coeur ; demandez-vous quel est l'objet de votre amour, et secouez le joug qui doit un jour vous blesser. Combattez le mal dès son principe ; le remède vient, trop tard lorsque ce mal s'est fortifié par de longs délais. Hâtez-vous donc, et ne différez pas d'heure en heure votre guérison. Si vous n'êtes pas prêts aujourd'hui, demain vous le serez moins encore. L'Amour est fertile en prétextes ; il trouve un aliment dans le retard. Le jour le plus proche est donc le plus convenable pour procéder à sa destruction. Vous voyez peu de fleuves larges dès leur source ; la plupart se grossissent par le tribut des ruisseaux qui viennent s'y perdre. Si tu avais réfléchi plus tôt au crime monstrueux que tu allais commettre, ton visage, ô Myrrha ! ne cacherait point sous l'écorce la honte qui le couvre[1]. J'ai vu des plaies, d'abord faciles à guérir, devenir incurables, par suite d'une négligence obstinée. Mais on aime à cueillir les fleurs que Vénus a semées pour nous, et l'on se dit chaque jour : "Il sera temps demain." Cependant une flamme sourde circule dans vos veines, et l'arbre nuisible jette de profondes racines. Si cependant le moment d'appliquer le remède est passé, si l'amour a vieilli dans le coeur dont il s'est emparé, d'immenses difficultés viennent entraver la guérison. Mais, parce qu'on m'appelle trop tard auprès du malade, ce n'est pas un motif pour que je l'abandonne ? Le héros, fils de Péan, n'aurait pas dû hésiter un instant de couper la partie où il venait d'être blessé[2]. Toutefois, dit-on, il n'en fut pas moins guéri plusieurs années après, et il accéléra la chute de Troie.

Je vous conseillais tout à l'heure d'attaquer le mal à sa naissance ; maintenant je vous offre des secours lents et tardifs ; tâchez, si vous le pouvez, d'éteindre l'incendie dès qu'il se développe, ou dès qu'il s'affaiblit de lui-même par sa propre violence. Quand un homme laisse s'exhaler sa fureur, cédez à son emportement : il serait difficile d'en arrêter la fougue impétueuse.

Insensé le nageur qui, pouvant descendre le fleuve obliquement, s'efforce de lutter contre

  1. Myrrha était fille de Cynire. Elle eut un commerce incestueux avec son père qui, ayant reconnu son crime, voulut la tuer; mais elle fut changée en un arbrisseau d'où coule la myrrhe.
  2. Paeantius heros désigne Philoctète, fils de Paean et compagnon d'Hercule, qui lui avait légué ses flèches trempées dans le sang de l'hydre de Lernes. Il en laissa tomber une sur son pied ; et lorsque les Grecs allèrent au siège de Troie, ne pouvant supporter l'infection qu'exhalait la blessure de Philoctète, ils abandonnèrent celui-ci dans l'île de Lemnos. Voyez Sophocle, tragédie de Philoctète.