Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/248

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le courant. Impatient et rebelle encore à l'influence de l'art, l'esprit prend en haine un conseiller inopportun. Il devient plus souple lorsque déjà il laisse toucher ses blessures, et qu'il se montre disposé à entendre raison. Quel est l'homme, s'il n'a perdu le sens, qui voudra empêcher une mère de pleurer aux funérailles de son fils ? Ce n'est pas le moment de lui faire la leçon ; quand elle aura versé des larmes et soulagé son coeur affligé, modérez alors, par des paroles consolantes, l'excès de sa douleur. Bien prendre son temps, voilà presque tout le secret de la médecine ; le vin, donné à propos, est salutaire ; donné à contre-temps, il devient dangereux. Ainsi, vous ne ferez qu'irriter un défaut et l'enflammer davantage si vous ne le combattez pas en temps utile.

Aussitôt que vous vous sentirez capable de mettre à profit les secours de mon art, commencez par fuir l’oisiveté ; l'oisiveté fait naître l'amour, et le nourrit une fois qu'il est né ; elle est à la fois la cause et l'aliment de ce mal si doux ; sans l'oisiveté, l'arc de Cupidon se brise, son flambeau s'éteint et n'est plus digne que de mépris. Autant le platane aime les pampres de Bacchus, le peuplier la fraîcheur des ruisseaux, et le roseau marécageux une terre limoneuse, autant Vénus aime l'oisiveté. Voulez-vous voir la fin de votre amour, occupez-vous ; l'amour fuit le travail ; travaillez donc, et vous serez sauvé. La paresse, le sommeil prolongé outre mesure, et que personne n'a le droit d'interrompre ; le jeu, de longues heures passées à boire ôtent à l'âme, sans toutefois la blesser, toute son énergie. C'est alors que, la trouvant sans défense, l'Amour s'y introduira par surprise. Ainsi de la paresse ; l'Amour hait l’activité ; si donc votre esprit est vide, donnez-lui quelque travail qui le tienne occupé. Vous avez pour cela le barreau, des lois à discuter, des amis à défendre ; mêlez-vous aux candidats qui briguent les dignités urbaines[1] ; ou, jeune volontaire, allez cueillir les lauriers sanglants de Mars ; bientôt alors la volupté vous affranchira de ses liens. Voici le Parthe fugitif qui vous offre l'occasion d'un triomphe éclatant ; déjà, aux portes de son camp, flottent les étendards de César[2]. Triomphez à la fois et des flèches de l'Amour et de celles du Parthe, et rapportez ce double trophée aux dieux de la patrie. Aussitôt que Vénus fut blessée par la lance du roi d'Étolie, elle laissa le soin de la guerre à son amant. Vous demandez pourquoi Égisthe devint adultère ? la cause en est facile à deviner : il n'avait rien à faire ; les autres princes soutenaient une lutte interminable sous les murs de Troie ; c'est là que la Grèce avait transporté toutes ses forces. En vain Égisthe eût songé à combattre, il n'en avait pas l'occasion ; à plaider, il n'y avait point de procès à Argos. Ce qu'il put faire, il le fit ; pour n'être pas désoeuvré, il aima. C'est ainsi que l'amour entre dans nos coeurs ; c'est ainsi

  1. Vade per urbanae candida castra togae. Ovide désigne par-là les assemblées des citoyens pour l'élection des magistrats : on sait que ceux qui aspiraient aux honneurs civils étaient appelés candidats, à cause de la robe blanche, candida toga, dont ils étaient revêtus.
  2. Ecce fugax Parthum, magni nova causa triumphi. Allusion a la guerre contre les Parthes, dont Auguste avait confié la conduite au jeune Caïus, fils d'Agrippa.