Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/259

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sur vous comme sur les troupeaux. Tel qui regarde les blessures d'autrui se sent blessé lui-même : bien des maux se communiquent ainsi, d'un corps à l'autre, leurs propriétés malfaisantes. Souvent un filet d'eau, chassé du fleuve qui coule dans le voisinage, arrose un champ sec et aride ; ainsi l'Amour se glisse à notre insu dans nos coeurs, si nous ne nous éloignons pas de ceux qui aiment ; mais nous sommes tous, à cet égard, ingénieux à nous tromper. L'un était déjà guéri, et le voisinage d'un malade l'a perdu ; l'autre a senti faillir son courage à l'aspect fortuit de sa maîtresse. Mal cicatrisée, son ancienne blessure s'est rouverte, et mon art est demeuré pour lui sans effet. 625. On se préserve difficilement de l'incendie qui dévore la maison voisine ; fuyez donc prudemment les lieux que fréquente d'ordinaire votre maîtresse. N'allez pas sous ce portique où elle a coutume de venir, et n'accomplissez pas simultanément les mêmes devoirs de politesse. Pourquoi rallumer en vous la flamme qui s'assoupit. Habitez, s'il est possible, un autre hémisphère. Il est difficile, devant une table servie, de commander à son appétit ; et le cristal d'une eau jaillissante redouble l'ardeur de notre soif. A la vue de la génisse, le taureau est difficile à contenir, et le coursier vigoureux hennit toujours à l'approche de sa cavale.

Lorsque vous aurez fait assez de progrès pour toucher enfin au rivage, non seulement je veux que vous abandonniez votre maîtresse, mais j'exige encore que vous donniez congé à la mère, à la soeur, à la nourrice sa confidente et à toutes les personnes qui l'entourent. Craignez qu'un esclave ou une soubrette, les yeux mouillés de larmes feintes, ne viennent vous trouver de sa part, pour vous souhaiter le bon jour ; et n'allez pas demander, quand même vous voudriez le savoir, comment elle se porte. Sachez vous contenir, et vous serez récompensé de votre discrétion. Et vous qui expliquez les motifs de votre rupture et dévoilez les nombreux griefs que vous avez contre votre maîtresse, soyez sobre de plaintes ; mieux vaut alors le silence ; vous vous vengerez mieux ainsi, et arriverez au point de la quitter sans le moindre regret.

N'est-il pas plus sage de se taire que de répéter sans cesse que vous n'aimez plus ? Celui qui dit à tout le monde : "Je n'aime plus," aime encore. C'est par degrés, et non pas tout à coup, qu'on parvient réellement à éteindre sa flamme. Dépêchez-vous lentement, et vous serez sauvé. Un torrent est plus impétueux que le cours uniforme d'un fleuve ; mais l'un a peu de durée, et l'autre coule toujours. Que votre amour disparaisse à votre insu, qu'il s'évanouisse comme une vapeur subtile, et meure insensiblement. Ce serait presqu'un crime de haïr aujourd'hui la femme qu'on aimait hier ; un changement si brusque ne convient qu'à des âmes féroces ; il suffit que vous la négligiez.