Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/613

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secours, ô Bacchus, dans ces solitudes où j'attendais la mort? [3, 480] En mourant alors, je n'aurais été malheureuse qu'une fois. O Bacchus, dieu inconstant, plus mobile que ce feuillage qui se joue à tes tempes, toi que je n'ai connu que pour te pleurer, tu as amené jusque sous mes yeux une indigne rivale, et troublé cette union jusque là si fortunée! [3, 485] Qu'est devenue la foi que tu m'avais jurée, et ces serments répétés chaque jour? Malheureuse! je suis donc réduite à déplorer deux fois la même injure! Tu accusais Thésée, tu lui donnais toi-même le nom de trompeur; condamné par toi-même, tu n'en es que plus coupable. Mais je veux souffrir en silence et dérober ma douleur à tous les regards; [3, 490] c'est une triste gloire que d'avoir pu être trompée tant de fois. Que Thésée surtout l'ignore, qu'il ne se réjouisse pas de t'avoir pour complice. Sans doute je suis trop noire, et la rivale que tu me préfères est éblouissante de blancheur! Je souhaite à tous mes ennemis sa couleur odieuse. [3, 495] Mais qu'importe, si sa laideur même l'embellit à tes yeux? Arrête, ô Bacchus, ne va pas te souiller dans ses embrassements; songe à tes serments; quel amour peut remplacer pour toi celui d'une femme habituée à chérir son époux? Ces cornes qui parent ton front me rappellent le beau taureau dont ma mère fut éprise; [3, 500] mais son amour était infâme, et moi je pouvais être glorieuse du mien. Ne me punis pas de t'aimer; t'ai-je puni, ô Bacchus, quand tu m'as fait l'aveu de ta passion? Ne sois pas surpris que je brûle pour toi; n'es-tu pas né dans les flammes? N'est-ce pas la main d'un père qui seule t'empêcha d'être consumé? [3, 505] Je suis cette Ariane à qui tu promettais le ciel; hélas, au lieu de m'y conduire, où m'as-tu laissée!"

Elle dit, et Bacchus, qui suivait ses pas, n'avait pas cessé de prêter l'oreille aux plaintes de l'infortunée; il la serre dans ses bras, de sa bouche il essuie les larmes d'Ariane. [3, 510] "Montons ensemble, dit-il, vers la voûte des cieux; l'amour nous a unis, qu'un même nom nous unisse encore, et prends celui de Libéra dans ta nouvelle demeure, comme souvenir de notre amour. Je placerai auprès de toi la couronne que Vénus avait reçue de Vulcain et que te donna Vénus." [3, 515] Il dit, et aussitôt les pierreries de cette couronne se changent en étoiles; on en compte neuf dans cette brillante constellation.

Lorsque le dieu dont le char rapide nous mesure la lumière se sera plongé six fois dans l'Océan, et en sera sorti six fois encore, tu assisteras à de nouveaux jeux Equirria, [3, 520] dans le champ couvert de gazon que baignent les eaux du Tibre sinueux, et si le Tibre, sortant de son lit, a inondé cette plaine immense, que les coursiers fassent voler des nuages de poussière sur le mont Célius.

Aux Ides on célèbre la fête joyeuse d'Anna Perenna, non loin de tes rives, ô Tibre voyageur. [3, 525]