Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/614

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La foule accourt et se disperse çà et là; chacun boit à loisir, couché près de sa compagne, sur l'herbe verdoyante. Les uns sont en plein air, un petit nombre dresse des tentes; d'autres, avec des branches d'arbres, se font une cabane de feuillage, ou alignent une rangée de pieux en guise de colonnes de marbre, [3, 530] et y suspendent leurs vêtements. Cependant le soleil et le vin les échauffent peu à peu; chacun compte les coupes qu'il a vidées, en demandant que ce nombre soit celui des années qui lui restent encore, et c'est à qui en videra le plus. Il y a là tel Romain qui a l'âge de Nestor, telle Romaine qui s'est assuré d'avance la vieillesse d'une sibylle. [3, 535] On se met à répéter les chansons apprises aux théâtres, et le facile abandon du geste ajoute à l'expression de paroles; puis on quitte la coupe épuisée pour se livrer à des danses sans art, et la jeune beauté en habit de fête a dénoué, dans ses transports folâtres, la bandelette qui retenait ses cheveux.

Au retour il en est plus d'un qui chancelle, et amuse les passants; [3, 540] la foule regarde en souriant et dit que l'ivresse est le bonheur. J'ai vu récemment défiler ce vénérable cortège, et la chose m'a paru digne d'être racontée; une vieille femme qui avait beaucoup trop bu traînait un vieillard, qui n'avait pas moins bu qu'elle...

Mais quelle est cette déesse Perenna? Des traditions diverses la réclament; il n'est aucun de ces récits qui ne doive trouver place dans mon poème.

[3, 545] La malheureuse Didon, après avoir été consumée d'amour pour Énée, s'était laissé consumer encore au milieu des flammes de ce bûcher où elle mit fin à ses jours. On avait recueilli ses cendres, et on lisait sur le marbre du tombeau cette courte inscription, tracée par elle-même à ses derniers instants: "Énée, qui cause ma mort, m'avait laissé une épée. [3, 550] Didon s'est frappée de sa propre main." Les Numides envahissent aussitôt ce royaume sans défenseur; le Maure Iarbas s'établit dans le palais qu'il vient de conquérir, et, se rappelant les dédains de la reine: "Je commande enfin, dit-il, dans cette chambre nuptiale, d'où Élissa m'a tant de fois repoussé!"

[3, 555] Les Tyriens fuient de tous côtés, dispersés par l'épouvante; ainsi errent au hasard les abeilles troublées, quand le chef de la ruche n'est plus. Trois fois les épis de la moisson avaient été battus dans l'aire, trois fois le vin avait fermenté dans la cuve profonde; Anne est chassée du palais; elle quitte en pleurant ces murs qui lui rappellent [3, 560] une soeur chérie; mais elle veut encore rendre un dernier hommage aux restes de Didon; elle verse des larmes et des parfums sur cette cendre légère, elle y dépose quelques boucles de ses cheveux; puis elle crie trois fois adieu; trois fois ses lèvres ont touché ces dépouilles sacrées, où sa tendresse cherche encore une soeur.

[3, 565] Elle s'assure d'un vaisseau, d'une compagne dans son exil, et s'éloigne lentement, les yeux attachés sur ces remparts qu'éleva la main d'une soeur