Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/821

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LETTRE IV

À RUFIN

Ovide, ton ami, t’adresse, ô Rufin, de son exil de Tomes, l’hommage de ses vœux sincères, et te prie en même temps d’accueillir avec faveur son Triomphe, si déjà ce poème est tombé entre tes mains. C’est un ouvrage bien modeste, bien au-dessous de la grandeur du sujet, mais, tel qu’il est, je te prie de le protéger. Un corps sain puise en lui-même sa force, et n’a nul besoin d’un Machaon, mais le malade, inquiet sur son état, a recours aux conseils du médecin. Les grands poètes se passent bien d’un lecteur indulgent, ils savent captiver le plus difficile et le plus rebelle. Pour moi, dont les longues souffrances ont émoussé le génie ou qui peut-être n’en eus jamais, je sens que mes forces sont affaiblies, et je n’attends de salut que de ton indulgence. Si tu me la refuses, tout est perdu pour moi. Et si tous mes ouvrages réclament l’appui d’une faveur bienveillante, c’est surtout à l’indulgence que ce nouveau livre a des droits. D’autres poètes ont chanté les triomphes dont ils ont été les témoins. C’est quelque chose alors d’appeler sa mémoire au secours de sa main, et d’écrire ce qu’on a vu. Moi, ce que je raconte, mon oreille avide en a à peine saisi le bruit, et je n’ai vu que par les yeux de la renommée. Peut-on avoir les mêmes inspirations, le même enthousiasme, que celui qui a tout vu, qui a tout entendu ? Cet argent, cet or, cette pourpre, confondant leurs couleurs éclatantes, ce spectacle pompeux dont vous avez joui, ce n’est point là ce que mes yeux regrettent, mais l’aspect des lieux, mais ces nations aux mille formes diverses, mais l’image des combats, auraient fécondé ma muse. J’aurais puisé des inspirations jusque sur le visage des rois captifs, ce miroir de leurs pensées. Aux applaudissements du peuple, à ses transports de joie, le plus froid génie pouvait s’échauffer, et j’aurais senti, à ces acclamations bruyantes, mon ardeur s’éveiller, comme le soldat novice aux accents du clairon. Mon cœur, fût-il plus froid que la neige et la glace, plus froid que le pays où je languis exilé, la figure du triomphateur debout sur son char d’ivoire aurait arraché mes sens à l’engourdissement. Privé de tels secours, n’ayant pour guide que des bruits incertains, ce n’est pas sans motif que je fais un appel à ta bienveillance. Je ne connaissais ni les noms des chefs ni les noms des lieux. À peine avais-je sous ma main les premiers matériaux. Quelle partie de ce grand événement, la renommée pouvait-elle m’apprendre ? Que pouvait m’écrire un ami ? Je n’en ai que plus de droit, ô lecteur, à ton indulgence, s’il est vrai que j’ai