Page:Ovide - Œuvres complètes, trad Nisard, 1838.djvu/822

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commis quelque erreur ou négligé quelque fait ! D’ailleurs, ma lyre, éternel écho des plaintes de son maître, s’est prêtée difficilement à des chants d’allégresse. Après une si longue désuétude, à peine si quelques mots heureux naissaient sous ma plume. Il me semblait étrange que je me réjouisse de quelque chose. Comme les yeux redoutent l’éclat du soleil dont ils ont perdu l’habitude, ainsi mon esprit ne pouvait s’animer à des pensées joyeuses. La nouveauté est aussi, de toutes les choses, celle qui nous plaît le plus : un service qui s’est fait attendre perd tout son prix. Les écrits publiés à l’envi sur ce glorieux triomphe sont lus sans doute, depuis longtemps, par le peuple romain. C’était alors un breuvage offert à des lutteurs altérés, et la coupe que je leur présente les trouvera rassasiés. C’était une eau fraîche qu’ils buvaient, et la mienne est tiède maintenant. Cependant je ne suis pas resté oisif. Ce n’est pas à la paresse qu’il faut attribuer mon retard, mais j’habite les rivages les plus reculés du vaste Océan, et, pendant que la nouvelle arrive en ces lieux, que mes vers se font à la hâte, que l’œuvre, achevée, s’achemine vers vous, une année peut s’écouler. En outre, il n’est point indifférent que ta main cueille la première rose, intacte encore ou qu’elle ne trouve plus que quelques roses oubliées. Est-il donc étonnant, lorsque le jardin est épuisé de ses fleurs, que je n’aie pu tresser une couronne digne de mon héros ? Que nul poète, je te prie, ne m’accuse ici de venir faire le procès à ses vers. Ma muse n’a parlé que pour elle. Poètes, votre sainte mission m’est commune, si toutefois les malheureux ont encore accès dans vos chœurs. Amis, vous eûtes toujours une grande part dans ma vie, et je n’ai pas cessé de vous être présent et fidèle. Souffrez donc que je vous recommande mes vers, puisque moi-même je ne puis les défendre. Un écrivain n’a guère de succès qu’après sa mort, car l’envie s’attaque aux vivants, et les déchire misérablement. Si une triste existence est déjà presque la mort, la terre attend ma dépouille, et il ne manque plus à ma destinée, pour être accomplie, que le séjour de la tombe. Enfin, quand chacun critiquerait mon œuvre, personne, du moins, ne blâmera mon zèle. Si mes forces ont failli, mes intentions ont toujours été dignes d’éloges, et cela, je l’espère, suffit aux dieux. C’est pour cela que le pauvre est bienvenu au pied de leurs autels, et que le sacrifice d’une jeune brebis leur est aussi agréable que celui d’un taureau. Au reste, le sujet était si grand que même le chantre immortel de l’Iliade eût fléchi sous le poids, et puis, le char trop faible de l’élégie n’aurait pu, sur ses roues inégales, soutenir le poids énorme d’un tel triomphe. Quelle mesure emploierai-je désormais ? Je l’ignore. Ta conquête, fleuve du Rhin, nous présage un nouveau triomphe, et les présages