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DES SAINTS INNOCENTS

��Sans doute il est arrivé quelquefois, —

Rarement, —

Que j'ai saisi un criminel tout endormi

Dans la nuit qui précédait l'accomplissement,

La perpétration de son crime.

Et que je l'ai pris par la peau du cou.

Et que je l'ai traîné tout pantelant devant mon Tribunal.

Comme un chien crevé.

Mais cela même je l'ai fait pour bien peu. Pour trop peu.

Je ne l'ai pas fait assez souvent. J'aurais dû le faire

plus souvent. J'ai laissé Caiphe, et Pilate, et Judas Dormir tout le sommeil jusqu'au matin De la nuit qui précédait l'accomplissement, La perpétration de leur forfait. Et ce que je n'ai pas fait pour ces trois là, et pour tant

d'autres. Ce que j'ai fait à peine pour les rois d'Orient. Mane, Thecel, Phares vous voudriez que je le fasse. Pour un bon chrétien, pour un bon paysan de mes

paroisses françaises. Qui a labouré tout le jour, qui a travaillé, comme c'est

la loi, pour nourrir sa femme et ses trois enfants. Qui le soir a mangé une bonne assiettée de soupe et bu

un malheureux verre de vin. Et qui s'est couché dans son lit recru de fatigue. Rompu. Ce que je n'ai pas fait pour les rois d'Egypte et pour

les rois de Babylonie. Vous voudriez que je le fasse pour ce mallieureux. Qui a femme et enfants.

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