Page:Pérochon - Les Creux de maisons.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nagent le fricot. Quand il y a du beurre, il l’étend longuement, puis il vide les yeux du pain avec la pointe de son couteau. Quand il n’y a rien ou quand il y a des choses mauvaises que les petits n’aiment pas, il sort pour ne pas entendre.

Delphine se désole ; elle se trouve encore grosse ; le cinquième va venir !

Les deux bessons sont à s’amuser dans le village ; Louise est sur les genoux de son père ; Georgette gigote sur ceux de sa mère ; elle gigote même trop, car sa mère n’a plus de dorne.

— Descends ! tu me fatigues, va trouver ton père. Delphine a repoussé l’enfant et croisé ses mains sur son ventre douloureux.

Elle se lamente :

— Qu’allons-nous faire, mon Dieu ! six à vivre sur ton pauvre gage ! Et je vais encore être malade ; je sens que je suis toute détraquée. Six à manger… et les hardes… et le bois…

Séverin grommelle :

— Que veux-tu ? Il y en a qui sont dix, douze, et qui ont des anciens en plus. Ceux-là sont encore plus malheureux.

Il n’aime pas qu’on lui parle de sa misère ; à force de voir souffrir les siens, il est devenu sombre ; il est maussade souvent sans raison apparente.

Delphine continue :

— Depuis le mardi gras, mes pauvres petits n’ont mangé ni lard, ni lait… quatre livres de beurre en tout depuis quatre mois… Quelle vie ! vaudrait mieux être morts ou être bêtes.