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nent. L’amour exige tout cela et de plus une affection mutuelle, sans quoi il languit forcément. Ainsi, tandis que, dans les autres cas, on aime simplement, ici on rend amour pour amour, et le cœur humain est comme excité par des aiguillons réciproques. Cicéron a donc eu raison de dire que, de toutes les passions de l’âme, il n’en est point certainement de plus violente que l’amour[1]. Il fallait qu’il en fût bien sûr pour ajouter certainement, lui qui avait défendu dans quatre livres l’Académie doutant de tout[2].

Pétrarque. J’ai remarqué souvent ce passage, et je suis étonné qu’il ait dit que cette passion était la plus violente de toutes.

S. Augustin. Ton étonnement cesserait si tu n’avais pas perdu la mémoire. Mais un simple avertissement te rappellera au souvenir de bien des maux. Songe que, du jour où cette lèpre a envahi ton âme, tu n’as fait que gémir, et que tu en es arrivé à ce degré de misère de te repaître avec une volupté maligne de tes larmes et de tes soupirs. Passant les nuits sans sommeil, on ayant sans cesse à la bouche le nom de ta bien-aimée, méprisant tout, haïssant la vie, désirant la mort, aimant tristement la solitude et fuyant les hommes, on pouvait t’appliquer exactement ce qu’Homère a dit de Bellérophon : Il errait triste et morne dans les champs d’Aléius, se rongeant le cœur et évitant les pas des humains[3]. De là cette

  1. Tusculanes, IV, 35.
  2. Académiques.
  3. Cicéron, Tusculanes, III, 26.