Page:Pétrarque - Mon secret, 1898.pdf/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profondément dans l’esprit, toi qui parles, que de fois, dans cette ville qui a été je ne dirai pas la cause, mais l’officine de tous tes maux[1], alors que tu te croyais guéri (et tu l’aurais été en grande partie si tu avais fui), que de fois, dis-je, circulant dans des quartiers connus, et, au seul aspect des lieux, sans rencontrer personne, te remémorant tes anciennes vanités, interdit, poussant des soupirs, tu t’es arrêté ; puis, ayant peine à retenir tes larmes et fuyant à demi blessé, tu t’es dit : « Je sens qu’il y a là je ne sais quelles embûches de l’antique ennemi. Il y a là des restes de mort. » Ainsi donc, fusses-tu guéri, (et il s’en faut bien) je ne te conseillerais pas d’habiter plus longtemps en cet endroit. Il ne convient pas que le prisonnier qui a brisé ses chaînes rôde autour des portes de la prison toujours ouverte devant laquelle le geôlier veille avec soin, tendant des pièges à ceux surtout dont il regrette la fuite. La descente aux enfers est facile ; la porte du sombre empire est ouverte nuit et jour[2].

Si, comme je l’ai dit, ces précautions sont nécessaires pour les gens valides, à plus forte raison le sont-elles pour ceux que la maladie n’a point encore quittés. C’est à ces derniers que Sénèque a songé en disant cela. Il a donné un conseil à ceux qui sont le plus en danger, car il était inutile de parler de ceux qui sont dévorés par les

  1. Avignon, patrie de Laure.
  2. Virgile, Énéide, VI, 126-127.