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de la bouche d’un oracle divin : Figure-toi que chaque jour est le dernier qui luit pour toi[1]. En effet, chaque jour qui luit pour les mortels n’est-il pas le dernier ou certainement le plus près du dernier ? Songe, en outre, combien il est honteux d’être montré au doigt et de devenir la fable du public. Songe combien ta profession jure avec ta conduite. Songe combien cette femme a nui à ton âme, à ton corps, à ta fortune. Songe à tout ce que tu as enduré pour elle sans aucune utilité. Songe que de fois tu as été moqué, méprisé, dédaigné. Songe à toutes les flatteries, à tous les gémissements, à toutes les larmes que tu as jetés aux vents ; songe qu’elle a souvent accueilli tout cela d’un air dur et hautain, et que les courts instants où elle s’est montrée moins inhumaine ont passé comme un éclair. Songe combien tu as ajouté à sa réputation et combien elle a ôté à ta vie ; combien tu as été jaloux de son nom et combien elle a toujours été indifférente pour ton état. Songe combien tu as été détourné par elle de l’amour de Dieu et dans quelles misères tu es tombé : je les passe à dessein sous silence de peur d’être entendu, si, par hasard, quelqu’un venait à nous écouter. Songe aux nombreux travaux qui te réclament de toutes parts, auxquels tu t’appliquerais plus utilement et plus honorablement ; songe combien sont inachevés entre tes mains, auxquels il con-

  1. Horace, Épîtres, I, 4, 13.