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S. Augustin. En disant cela, je ne t’accuse ni de paresse ni de manque de mémoire : je te reproche d’avoir réservé les endroits les plus fleuris de tes lectures pour l’amusement de tes amis, et d’avoir trié pour leur usage les passages les plus élégants, ce qui annonce la recherche de la vaine gloire ; je te reproche enfin de ne pas t’être contenté de tes occupations journalières, qui, malgré une grande dépense de temps, te promettaient seulement la célébrité parmi tes contemporains, et d’avoir porté tes vues plus loin en rêvant de te faire un nom dans la postérité. Pour cela, abordant de plus grands sujets, tu as entrepris d’écrire l’histoire depuis le roi Romulus jusqu’à l’empereur Titus, œuvre immense qui exige beaucoup de temps et de travail. Puis, sans attendre qu’elle fût terminée, pressé par les stimulants de la gloire, tu as vogué vers l’Afrique sur une nef poétique et actuellement tu travailles avec ardeur aux livres susdits de l’Afrique, sans négliger les autres. Ainsi consacrant ta vie entière à ces deux occupations, sans parler de toutes celles qui surviennent, tu prodigues le plus précieux des biens, celui dont la perte est irréparable. En écrivant sur autrui, tu t’oublies toi-même ; et que sais-tu si, avant que ces deux ouvrages soient achevés, la mort n’arrachera pas de tes mains ta plume fatiguée, de sorte que, en courant par deux chemins après la gloire, tu ne parviendras ni d’un côté ni de l’autre à ton but ?