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quillité ; plus d’engourdissement de l’esprit, plus de langueur du corps, plus de ces empêchements de la fortune qui, éteignant ta verve, ont souvent arrêté ta plume vagabonde ; supposons que tout te sourie et dépasse tes vœux, quelle œuvre remarquable penses-tu faire ?

Pétrarque. Oh ! une œuvre belle, rare et excellente.

S. Augustin. Je ne veux pas te contrarier. J’admets que ce soit un chef-d’œuvre ; mais si tu savais à quelle œuvre infiniment plus belle il fait obstacle, tu aurais horreur de ce que tu désires. Ce chef-d’œuvre, j’ose le dire, éloigne d’abord ton esprit de soins bien meilleurs, et, en outre, sa renommée est restreinte, car elle est limitée par l’espace et le temps.

Pétrarque. Je connais cette vieille fable, rebattue parmi les philosophes, savoir que toute la terre ressemble à un petit point ; qu’une seule âme dure des milliers infinis d’années ; que la renommée ne peut remplir ni ce point ni l’âme, et autres raisonnements de ce genre par lesquels ils détournent les esprits de l’amour de la gloire. Je vous en prie, si vous avez des arguments plus solides, présentez-les, car j’ai reconnu par expérience que tout cela est plus spécieux qu’efficace. Je ne songe point à devenir Dieu, pour jouir de l’éternité et embrasser le ciel et la terre. La gloire humaine me suffit : c’est après elle que je soupire, et, mortel, je ne convoite que des choses mortelles.