Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/308

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venir à leurs fins. Notez que, pour salaire, on n’offre guère plus de quatre à six pièces d’or à qui se charge de ce périlleux service. Ah ! j’oubliais : le gardien, dans le cas où le corps ne serait pas retrouvé le matin dans son entier, est tenu de remplacer ce qui manque, pièce pour pièce, avec la chair de sa propre face.

Ainsi renseigné, je prends mon courage à deux mains ; je vais droit au crieur, et lui dis : Ménagez vos poumons ; voici le gardien tout trouvé ; voyons le prix. On vous donnera mille écus, dit-il ; mais, mon gaillard, songez-y bien, le mort est le fils d’un des premiers de la ville. Faites bonne garde au moins contre ces détestables harpies. Bagatelle ! recommandation inutile ! répondis-je ; je suis un corps de fer, et, pour la vigilance, un Lyncée, un Argus ; des yeux partout. J’avais à peine fini, qu’il me conduit à une maison dont les principales issues étaient fermées. Nous entrons par une petite porte de derrière, et j’arrive à un appartement dont tous les jours interceptés excluaient la lumière du dehors, et où pourtant je parvins à apercevoir une femme éplorée, et en deuil des pieds à la tête. Voici, dit mon guide en s’approchant, un homme résolu qui s’engage à garder le corps de votre époux. À ces mots, la dame écarte ses cheveux des deux côtés de son visage, dont la beauté me frappa au milieu de ses larmes ; et arrêtant ses regards sur moi : Vous savez, dit-elle, ce que votre tâche exige de surveillance. Soyez sans inquiétude, repris-je, pourvu que j’aie un supplément de prix raisonnable. Elle y consent, et, se levant aussitôt, me conduit dans une autre chambre.

Là se trouvait le corps du défunt, recouvert d’un linceul éclatant. Elle le découvre en présence de sept personnes appelées comme témoins ; et, à cette vue, ses larmes recommencent à couler. Puis, après un moment de silence, adjurant les assistants, elle procède sous leurs yeux à une revue exacte de tous les membres ; l’inventaire en est dressé sur une tablette. Voyez, dit-elle, le nez est entier, les yeux en bon état, les oreilles au complet, les lèvres intactes ; rien ne manque au menton. Citoyens, rendez-moi du tout bon et fidèle témoignage. Elle dit, et, les sceaux étant apposés aux tablettes, elle allait se retirer ; mais je la retins. Madame, lui dis-je, faites-moi, je vous prie, donner ce qui est nécessaire. Qu’entendez-vous par là, dit-elle ? Une de vos plus grandes lampes, repris-je, de l’huile suffisamment pour l’alimenter jusqu’au jour, de l’eau chaude, du vin, un verre, et un plateau garni des restes de votre souper. Alors, avec un geste de mépris : Perdez-vous le sens ? dit-elle ; un souper ! des restes ! dans une maison de mort, où, depuis tant de jours déjà, le foyer n’a pas même de fumée ! Croyez-vous être venu ici pour faire bombance ? Allez ; songez plutôt à sympathiser par vos larmes avec le deuil que vous voyez autour de vous. Se tournant alors vers sa suivante : Myrrhine, donnez sur-le-champ une lampe et de l’huile à cet homme, enfermez-le dans la chambre, et retirez-vous.

Me voilà donc livré à moi-même, avec la compagnie d’un cadavre pour passe-temps. Je me frotte les yeux pour éloigner le sommeil, et, de temps à autre, je fredonne une chanson pour me donner du cœur au ventre. Arrive la brune, puis