Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/309

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la nuit ; la nuit épaisse, profonde ; la nuit dans toute son horreur. Ma frayeur croissait avec les ténèbres : tout à coup, une belette se glisse dans la chambre, vient se poser devant moi, et se met à me regarder en face avec la dernière assurance. Tant d’audace dans ce petit animal ne me troubla pas médiocrement. J’ose enfin lui adresser ces paroles : Veux-tu bien t’en aller, bête immonde ? Va te cacher avec les rats, seule société qui te convienne ; ou tu vas sentir ce que pèse mon bras. Zeste, elle détale, et disparaît de la chambre ; mais au même instant je m’abîme en un sommeil profond ; si bien que le dieu de Delphes lui-même, voyant là deux corps gisants, aurait eu peine à distinguer le vivant du mort. J’étais bien là, en effet, comme si je n’y eusse pas été privé de tout sentiment, dans un état à être gardé, plutôt qu’à garder moi-même.

Déjà la retraite de la nuit était sonnée par tous les coqs du voisinage. Je m’éveille en sursaut, et, dans le dernier effroi, je cours au cadavre ; j’en approche la lumière, et j’examine en détail si le dépôt dont j’avais pris charge se retrouvait dans son intégrité. Bientôt l’épouse infortunée, suivie des témoins de la veille, entre brusquement. L’œil en pleurs et tout effarée, elle se précipite sur le corps, qu’elle couvre longtemps de ses baisers ; puis, la lampe à la main, elle en fait un récolement complet. Alors elle se retourne, appelle son intendant Philodespotus, et lui ordonne de payer sur-le-champ l’excellent gardien. Jeune homme, me dit-elle ensuite, je vous ai les plus grandes obligations. Et certes, après la vigilance dont vous avez fait preuve en vous acquittant de ce devoir, je dois vous compter désormais comme un de mes amis.

Moi, dans l’extase de ce gain inespéré, et tout ébloui de l’or que je faisais sonner dans ma main : Dites votre serviteur, madame, m’écriai-je : à la première occasion, je suis à vos ordres. Vous n’avez qu’à parler.

À peine avais-je prononcé ces paroles, que tous les amis de la veuve éclatent en exécrations, et fondent en masse sur moi, se faisant arme de tout. C’est à qui me brisera les mâchoires et les épaules de ses poings ou de ses coudes, à qui me froissera les côtes ou me lancera son coup de pied. Mes cheveux sont arrachés, mes habits déchirés en lambeaux. Enfin meurtri et malmené, autant que le furent jamais le beau chasseur Adonis ou le dédaigneux fils de Calliope, je me vois impitoyablement jeté hors du logis.

Pendant que, sur une place voisine, je cherchais à reprendre mes esprits, je m’avisai un peu tard de la sinistre inconvenance de mes paroles, et convins que je n’avais pas encore été rossé comme je le méritais. Pendant ce temps, le cérémonial des pleurs et des cris avait été son train, et le cortège, d’une ordonnance conforme à l’usage du pays, s’avançait au milieu de la place, avec la pompe convenable à la qualité du défunt. Tout à coup un vieillard accourt, les yeux mouillés de pleurs, et arrachant les cheveux de sa tête chenue ; il étend précipitamment les deux mains sur le lit funèbre : Citoyens, s’écrie-t-il de toute la force de sa voix entrecoupée de sanglots, par tout ce que vous avez de plus sacré, au nom de la piété publique, vengez le meurtre d’un de vos frères ! Cette misérable, cette infâme créature, s’est souillée du plus grand des forfaits ; j’appelle sur sa tête toutes les sévérités de la justice. C’est sa main, et sa main seule, qui a fait périr