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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/310

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par le poison ce malheureux jeune homme, le fils de ma sœur. Un amour adultère et l’appât de sa succession ont poussé une épouse à ce crime. Le vieillard allait de l’un à l’autre, ne cessant de faire entendre ses plaintes lamentables. Déjà les esprits s’irritent ; le crime paraît probable ; on y croit. Des pierres ! un bûcher ! s’écrie-t-on de toutes parts. Et voilà les enfants qu’on excite contre cette malheureuse. Elle, le visage baigné de pleurs de commande, et simulant de son mieux l’horreur d’un tel attentat, prenait tous les dieux à témoin de son innocence.

Eh bien ! dit le vieillard, reposons-nous sur la divine providence du soin de manifester la vérité. Il y a ici un Égyptien nommé Zatchlas, prophète du premier ordre. Dès longtemps il s’est engagé avec moi, au prix d’une somme considérable, à évoquer temporairement une âme du fond des enfers, et à lui faire animer de nouveau le corps qu’elle aurait quitté.

Il dit, et fait avancer au milieu de l’assemblée un jeune homme couvert d’une robe de lin, chaussé d’écorce de palmier, le poil rasé entièrement ; et, après lui avoir longtemps baisé les mains et même embrassé les genoux, il lui adresse ces paroles : O pontife ! ayez pitié de nous ; je vous en conjure par les célestes flambeaux, par les divinités infernales, par tous les éléments de cet univers, et le silence des nuits, et les mystères de Coptos, et les crues du Nil, et les arcanes de Memphis, et les sistres de Pharos. Que ces yeux fermés pour l’éternité puissent un moment se rouvrir au soleil, et ressaisir la lumière des cieux ! Nous ne voulons pas troubler l’ordre naturel, ni disputer à la terre ce qui lui appartient. C’est afin que justice soit rendue au mort, que nous demandons pour lui ce retour d’un moment à l’existence.

Cette allocution eut son effet sur le prophète. Il appliqua trois fois une certaine herbe sur la bouche du défunt, puis une autre herbe autant de fois sur sa poitrine. Se tournant alors vers l’orient, il adresse une prière tacite au soleil, qui s’élevait majestueusement au-dessus de l’horizon. Ce préliminaire imposant émeut et préoccupe les spectateurs, et les met dans une grande attente du miracle qui va s’accomplir. Je me mêle à la foule, et, montant sur une borne, derrière le lit funèbre, je regardais de tous mes yeux. Un léger soulèvement se manifeste vers la poitrine du mort, son pouls recommence à battre, ses poumons à jouer ; le cadavre se met sur son séant ; la voix du jeune homme se fait entendre : J’avais déjà bu l’eau du Léthé, dit-il, et presque franchi les marais du Styx. Pourquoi me rengager dans les tristes devoirs de cette vie éphémère ? Cessez, cessez, de grâce, et me rendez à mon repos.

Ainsi parla le cadavre. Mais le prophète lui dit d’un ton impératif : Il faut tout révéler ; il faut mettre au grand jour le secret de la tombe. Ne sais-tu pas que mes accents ont le pouvoir d’évoquer les Euménides, et de livrer tes membres aux tortures qu’elles savent infliger ? Le mort, poussant alors un profond gémissement, se tourne vers le peuple et dit : La femme que j’avais épousée a causé mon trépas. J’ai péri par le poison ; et ma couche n’était pas refroidie, que déjà l’adultère venait la souiller.

À cette accusation, l’épouse, s’armant d’une effronterie sans pareille, oppose un sacrilège dé