Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/311

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menti. La foule s’agite, les esprits se partagent, Les uns veulent que, sans plus tarder, cette femme scélérate soit ensevelie toute vive avec son mari. D’autres crient au prestige, et soutiennent que le cadavre a menti. Mais bientôt la question est tranchée par une révélation accessoire du défunt, poussant un nouveau et plus profond soupir : Je vais, dit-il, je vais prouver jusqu’à l’évidence que je n’ai dit que la vérité ; et cela, par une circonstance à moi seule connue. Pendant que ce fidèle surveillant (me montrant du doigt) faisait si bonne garde auprès de mon corps, des sorcières, qui avaient jeté le dévolu sur ma dépouille, ont vainement cherché, sous diverses formes, à mettre sa vigilance en défaut. Enfin, elles ont étendu sur lui les vapeurs du sommeil ; et, l’ayant plongé dans une sorte de léthargie, elles n’ont cessé de m’appeler par mon nom, tant qu’enfin mes membres engourdis et mon corps déjà glacé commençaient à s’évertuer pour répondre à la magique sommation. Celui-ci, qui était bien vivant, qui n’avait d’un mort que l’apparence, entendant prononcer son nom (car nous portons le même), se lève sans savoir pourquoi, s’avance comme un fantôme, et machinalement va donner contre la porte ; elle était bien fermée ; mais il s’y trouvait une ouverture au travers de laquelle on lui coupa successivement d’abord le nez, puis les oreilles ; amputation qu’il n’a subie qu’à mon défaut. Les sorcières ont ensuite imaginé un raccord pour déguiser leur larcin. Avec de la cire, elles lui ont façonné une paire d’oreilles qu’elles lui ont appliquées très proprement, et lui ont adapté de même un nez tout pareil au sien. Voilà où en est ce pauvre homme. On l’a payé, non de sa peine, mais de ses mutilations. Tout étourdi d’une telle découverte, et voulant m’assurer du fait, je me pince le nez ; mon nez s’enlève : je tâte mes oreilles, elles suivent la main. En un clin d’œil : je vois tous les yeux dirigés, tous les doigts braqués sur ma personne ; le rire allait éclater. Une sueur froide me saisit ; je me glisse entre les jambes des assistants, et parviens à faire retraite ; mais défiguré de la sorte, et désormais voué au ridicule, je n’ai plus osé reparaître dans ma famille, ni revoir mon pays. Avec mes cheveux que je rabats sur les côtés, je suis parvenu à cacher la place de mes oreilles ; et ce morceau de linge que je me suis collé au visage dissimule assez bien l’accident de mon nez.

À ce récit de Télyphron, les convives, que le vin avait mis en gaieté, se prennent à rire de plus belle. Et, pendant que quelques bons vivants réclament les libations d’usage au dieu du Rire, Byrrhène se tourne vers moi : Demain, dit-elle, est l’anniversaire de la fondation de notre ville, jour consacré à l’auguste dieu du Rire. C’est un culte observé par nous seuls sur la terre, et que nous célébrons par les plus joyeuses cérémonies. Votre présence serait un plaisir de plus ; et puisse quelque heureux fruit de votre imagination ajouter encore à la fête, et contribuer à rendre l’hommage plus digne de la divinité ! Bien volontiers, madame, répondis-je ; vos ordres sont ma loi ; et je souhaite que l’inspiration me serve assez bien pour que la toute-puissance du dieu se manifeste dans mon œuvre.

Là-dessus, mon valet vint m’avertir que la