Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/312

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nuit s’avançait. Je me lève, ébloui des fumées du vin ; je prends à la hâte congé de Byrrhène, et, d’un pied chancelant, je m’achemine vers le logis. Mais voilà qu’au premier détour de rue un coup de vent éteint notre unique flambeau, et nous plonge soudainement dans les ténèbres. Nous eûmes mille peines à nous tirer de cet embarras ; et ce ne fut que harassés de fatigue, et après nous être meurtri les pieds contre chaque pierre du chemin, que nous pûmes nous rendre au logis.

Nous y arrivions cependant bras dessus, bras dessous, quand trois gros et vigoureux gaillards se lancent avec force contre notre porte. Notre présence, loin de les déconcerter, semble les piquer d’émulation ; c’est à qui frappera le plus fort : nous les prîmes, moi surtout, pour des brigands fieffés, et de la pire espèce. Vite je saisis sous mon manteau l’épée dont je m’étais précautionné pour de pareilles rencontres ; et, sans marchander, je m’élance au milieu de ces bandits. À mesure qu’il m’en tombe un sous la main, je lui plonge mon épée jusqu’à la garde, et je les étends l’un après l’autre à mes pieds, criblés de coups, et rendant l’âme par de larges blessures. Après cet exploit, tout haletant et baigné de sueur, j’enfilais la porte que venait d’ouvrir Fotis, réveillée par le vacarme ; une lutte avec le triple Géryon ne m’eût pas épuisé davantage. Je gagnai promptement mon lit, et ne tardai pas à m’endormir.



LIVRE TROISIÈME.


Déjà l’Aurore, de ses doigts de rose, secouant les rênes empourprées, lançait son char dans la carrière des cieux. Adieu le doux repos ; la nuit le cédait au jour. Une violente agitation me saisit au souvenir des événements de la veille. Je m’assis sur mon lit, les pieds croisés, et, appuyant sur mes genoux mes mains entrelacées, je me mis à pleurer à chaudes larmes. Mon imagination alarmée me peignait déjà le tribunal, l’arrêt, et jusqu’au bourreau même tout prêt à mettre la main sur moi. Comment supposer un juge assez bénin, assez débonnaire, pour acquitter l’homme souillé d’un triple meurtre, teint du sang de tant de citoyens ? Était-ce donc là ce glorieux voyage que le Chaldéen Diophane m’avait si intrépidement promis ?

Cependant une vive rumeur et des coups répétés se font entendre à la porte extérieure. La maison s’ouvre avec violence, et des magistrats, des officiers, un flot de gens de toute espèce y fait soudain irruption. Sur l’ordre des magistrats, des licteurs me saisissent et m’entraînent. Toute idée de résistance était bien loin de moi. Nous n’étions pas hors de l’impasse, que la population, déjà sur pied, nous suivait en foule, et quelle foule ! Or, tout en marchant tristement, la tête inclinée vers la terre (j’aurais voulu être plus bas), il m’arriva de regarder de côté, et je fus frappé d’une circonstance étrange. De tant de milliers d’individus qui nous entouraient, il n’y en avait pas un qui ne parût pouffer de rire. Après qu’on m’eut fait faire le tour de toutes les places de la ville, comme à ces victimes que promène une procession lustrale pour conjurer quelque fléau, nous arrivons enfin au lieu ou se rendait la justice, et je me trouve en face du