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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/320

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Nous eûmes trop peu de répétitions de cette nuit charmante. Je vois un jour Photis accourir tout émue ; elle m’annonce que sa maîtresse, ayant échoué dans ses précédentes tentatives, avait résolu de se changer la nuit suivante en oiseau, et d’aller sous cette forme trouver l’objet de sa passion ; que j’eusse donc à me tenir prêt, et qu’elle me ferait assister, discret témoin, à cette scène merveilleuse. En effet, vers la première veille, elle ne manque pas de me venir prendre ; elle me mène à pas de loup jusqu’au réduit aérien, puis elle me place à une fente de la porte par où je pouvais tout voir.

Pamphile commença par se dépouiller de tous ses vêtements ; ensuite elle ouvrit un petit coffret et en tira plusieurs boîtes, ôta le couvercle de l’une, y prit une certaine pommade, s’en frotta longtemps la paume des mains, et, se les passant sur tous les membres, s’en enduisit le corps, de la plante des pieds à la racine des cheveux. Vint après un long colloque à voix basse avec sa lanterne ; soudain elle imprime une secousse à toute sa personne, et voilà ses membres qui s’assouplissent et disparaissent, d’abord sous un fin duvet, puis sous un épais plumage. Son nez se courbe et se durcit, ses ongles s’allongent et deviennent crochus. Pamphile est changée en hibou ; elle jette un petit cri plaintif, et, après quelques essais de vol à ras de terre, la voilà qui prend l’essor à tire d’aile.

Sa transformation était volontaire, et l’effet de ses puissants sortilèges. Moi qui n’en avais été que le simple témoin, hors de l’influence du charme, je restais frappé de stupeur, et ne ressemblais à rien moins qu’à moi-même : frappé comme d’imbécillité, j’étais dans un état voisin de la démence, rêvant tout éveillé, me frottant les yeux, et me demandant si ce n’était pas un songe. Enfin, revenant à moi, je saisis la main de Photis, je la presse contre mes yeux : L’instant nous favorise, lui dis-je ; accorde-moi, je t’en supplie, un gage éclatant de ton amour : donne-moi un peu de cette pommade. Par les globes charmants de ton sein, c’est moi qui t’en conjure, et qu’un tel bienfait, qu’aucun prix ne saurait payer, m’enchaîne à jamais sous tes lois ; que, grâce à toi, je puisse, nouveau Cupidon, voltiger autour de ma Vénus !

Oui-dà ! renard, mon ami ; mais c’est me dire tout simplement d’aller moi-même chercher les verges ! Joli moyen pour ne plus craindre ces chattes de Thessaliennes ! Et ce bel oiseau, dites-moi, où courrai-je après lui ? quand le verrai-je ? Me préserve le ciel de commettre une pareille infamie ! m’écriai-je. Quand je pourrais, comme l’aigle, planer sur toute l’étendue des cieux, faire les messages de Jupiter ou porter fièrement son foudre ; qu’avec joie on me verrait, des hauteurs de l’empyrée, revoler au petit nid que j’aime tant ! Oui, j’en fais le serment par ce nœud de ta chevelure, nœud charmant qui m’enchaîne ; à tout je préfère ma Photis. Et, d’ailleurs, quand j’y songe, une fois que, par la vertu de cette friction, je me serai affuble d’un tel plumage, ne me faudra-t-il pas éviter toute habitation ? Le beau, l’aimable galant qu’un hibou ! comme les dames en doivent être tentées ! Triste oiseau des ténèbres, dès qu’il se montre en un logis, c’est à