Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/321

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qui l’attrapera pour le clouer à la porte, et lui faire expier par mille tourments son aspect de sinistre augure. Mais, vraiment, j’oubliais : quelles paroles dire, quelles pratiques observer, pour me débarrasser de toutes ces plumes et redevenir Lucius ? À cet égard, dit-elle, tu peux être tranquille. J’ai appris de ma maîtresse ce qu’il faut faire pour quitter ces formes d’emprunt et revenir à la figure humaine : et ne va pas croire qu’elle m’en ait instruite par bonté d’âme ; c’est seulement pour s’assurer de ma part une assistance efficace à son retour. Au reste, tu le vois, c’est avec les herbes les plus communes que s’opèrent de si grands effets : il suffit d’un peu d’aneth et de quelques feuilles de laurier infusés dans de l’eau de source. Elle en fait usage en bain et en boisson.

Après m’avoir répété cette instruction, elle se glisse dans le réduit, non sans trembler de tous ses membres. Elle prend dans le coffret une petite boîte dont je m’empare et que je baise, en la suppliant de faire que je puisse voler. En un clin d’œil je me mets nu, et je plonge mes deux mains dans la boite. Je les remplis de pommade, et je me frotte de la tête aux pieds. Puis me voilà battant l’air de mes bras, pour imiter les mouvements d’un oiseau ; mais de duvet point, de plumes pas davantage ; ce que j’ai de poil s’épaissit, et me couvre tout le corps. Ma douce peau devient cuir. À mes pieds, à mes mains, les cinq doigts se confondent et s’enferment en un sabot ; du bas de l’échine il me sort une longue queue, ma face s’allonge, ma bouche se fend, mes narines s’écartent, et mes lèvres deviennent pendantes ; mes oreilles se dressent dans une proportion démesurée. Plus de moyen d’embrasser ma Fotis ; mais certaine partie (et c’était toute ma consolation) avait singulièrement gagné au change. C’en est fait ; j’ai beau considérer ma personne, je me vois âne ; et d’oiseau, point de nouvelles. Je voulus me plaindre à Photis ; mais déjà privé de l’action et de la parole humaine, je ne pus qu’étendre ma lèvre inférieure, et la regarder de côté, l’œil humide, en lui adressant une muette prière.

À peine m’a-t-elle vu dans cet état, que, se meurtrissant le visage à deux mains, elle s’écrie : Malheureuse, je suis perdue ! je me suis tant pressée, j’étais si troublée… La ressemblance des boîtes… J’ai fait une méprise ; mais, par bonheur, il y a un moyen bien simple pour revenir de cette métamorphose. Vous n’avez qu’à mâcher des roses, et vous quitterez cette figure d’âne, et mon Lucius me sera rendu. Pourquoi faut-il qu’hier au soir je n’en aie pas préparé quelque guirlande à mon ordinaire ! vous n’auriez pas même à subir le retard de cette nuit. Mais patience ! au point du jour, je serai près de vous avec le remède.

Telles étaient ses lamentations. Je me trouvais âne bel et bien, et de Lucius devenu bête de somme. Mais je n’en continuais pas moins à raisonner comme un être humain : je délibérai longtemps, à part moi, si je ne devais pas tuer cette exécrable femme, en la terrassant à coups de pieds ou en la déchirant à belles dents. Une réflexion m’arrêta : Photis morte, toute chance de salut pour moi s’anéantissait avec elle. L’oreille basse et secouant la tête, je pris donc le parti de dévorer pour un temps mon affront ; et, me con-